[Quête Majeure] Libérer Kaleilah !

Entre ces quatre murs, on se sentait hors du monde. Rien ne troublait la quiétude du lieu, pas même le bruit de la ville au-dehors. Des oiseaux virevoltaient entre les branches des saules, tandis que des goujons kiye, dans les bassins, gratifiaient Emyn Muil de leur regard vitreux.

« Mogawa, as-tu déjà entendu parler du clan Bandawa ? »

Le xélor connaissait le vieux pandawa depuis une éternité : il l'avait rencontré au cours de ses voyages de jeunesse. Il ne l'avait pas revu depuis de nombreuses années. La désastreuse situation de la Main du Valet Noir lui donnait une bonne occasion de lui rendre visite...

« Bien sûr. C'est un clan pandikaze d'Aerdala.
— Qui sont-ils, exactement ?
— Des rebelles à l'autorité du Grandapan, des rebelles parmi d'autres. De mauvais pandawas, qui sèment la discorde sur notre île autrefois paisible. »

Mogawa, appuyé sur sa canne, s'engageait sur le petit pont de pierre. Il appréciait la douceur du jardin qu'il entretenait avec soin. Un vestige d'une époque qui s'effaçait — la sienne.

« Comment pourrais-je faire pour les rencontrer ? Connais-tu quelqu'un qui pourrait me mettre en relation avec eux ? »

Le Pandawa avança à petits pas jusqu'à un banc sur lequel il s'assit ; Emyn Muil resta debout à côté de lui.

« Les Pandawas ne font pas confiance aux étrangers. Il n'y a qu'un étranger qui puisse te faire rencontrer un Pandikaze. »

Le Xélor afficha une mine dubitative.

« Il y a un marchand qui s'est installé en ville depuis que le Grandapan a ouvert le commerce aux étrangers. Il s'appelle Jouan de Port-aux-Gâles. On dit qu'il vend des armes à feu aux Pandikazes. »

Emyn Muil fronça les sourcils. La vie était définitivement pleine de paradoxes.

« Et les autorités le tolèrent ?
— Il leur vend des armes à feu, à elles aussi.
— Je vois... Sais-tu où je peux le trouver ? »

Mogawa plongeait son regard dans l'eau d'une fontaine, où se reflétait le timide soleil de flovor.

« Il y a une taverne où se réunissent les Amaknéens immigrés à Pandala Neutre. Le Bulbuisson Effeuillé. Si tu veux le rencontrer, c'est probablement le meilleur endroit.
— Le Bulbuisson Effeuillé...
— Oui, c'est près des quais. Un mauvais établissement, fréquenté par des aventuriers, des chercheurs de trésors, des braconniers, des criminels fuyant la justice de leur pays, des trafiquants et des marchands. Des mauvais hommes d'une mauvaise époque.
— Je me méfierai, alors. Merci pour tout, Mogawa. »

Le pandawa tourna sa tête vers Emyn Muil et lui adressa un regard affectueux.

« Fais attention où tu mets ton museau — je veux dire, ton nez. Dans l'eau mêlée qui jaillit de la source, il y a autant le bien et le mal. »

Quelques jours plus tard, dans la buanderie du Lépreux Chauve...

« Tout porte à croire que les Pandikazes qui vous ont tendu une embuscade l'autre jour font partie du clan Bandawa. Pour en avoir le cœur net, il faudrait pouvoir infiltrer leur camp. Pour ce faire, nous aurons besoin de l'aide d'un certain Jouan de Port-aux-Gâles. Il s'agit d'un marchand amaknéen installé à Pandala. Il vend des armes à feu aux Pandikazes et connaît certainement les Bandawa. Le plan est simple : nous utiliserons Jouan pour nous introduire dans leur campement. Sur place, il faudra soit trouver Kaleilah directement, soit des informations sur sa localisation. La première étape consistera à identifier Jouan de Port-aux-Gâles. On dit qu'il fréquente la taverne du Bulbuisson Effeuillé sur les quais de Pandala Neutre. Tu t'y rendras ce soir et tu essayeras de rentrer en contact avec Jouan. »

*
**

Quelques heures plus tard, Shanigami taillait la bavette avec le propriétaire du Bulbuisson Effeuillé, un vieil amaknéen curieux de voir une nouvelle tête dans son établissement.

« Ah ! la musique ! Les sonorités monotones de nos âmes égarées viennent à mon âme comme les feuilles en été... Cela vous plaît ? C'est une de mes dernière compositions.
— Euh oui, sans doute.
— Oui, Jouan sera parfait pour organiser ça.
— Jouan ?
— Mon agent !
— Tiens, je connais un Jouan...
— Vraiment ? C'est peut-être lui.
— Peut-être... Qui est votre Jouan ?
— Jouan est un homme d'affaires. Il gère mes spectacles, entre autres. C'est un homme charmant.
— Il y a un Jouan de Port-aux-Gâles qui vient souvent dans ma taverne. Vous parlez de lui ?
—  Oh ! Mais serait-ce possible ? Un tel hasard ? C'est fou !
— Pandala Neutre est petit, vous savez...
— Il faut que j'écrive là-dessus... Attendez... »

Le « musicien », prochainement, disait-il, en tournée à Pandala, prit un air inspiré, se racla la gorge et entonna sur un ton lyrique :

« Le hasard qui s'égare... nous rend hagards. De belles bagarres où se narrent les exploits les plus... Aléatoiiires ! »

Le tavernier le regardait d'un air dubitatif.

« Ouh ! La beauté ! Entendez-vous ces rimes semi-embrassées alexandrines ?
— Vous savez, je deviens un peu sourd, à mon âge... »

Lorsque le tavernier descendit à la cave remplacer le fût qui était vide, deux hommes qui jouaient aux cartes interpellèrent l'osamodas d'un air menaçant. Ils n'étaient pas forcément très futés mais l'arquebuse qui était cachée dans l'étui pour violoncelle que transportait avec lui le musicien n'était pas pour leur inspirer confiance. Après une discussion musclée, ils emmenèrent l'osamodas devant leur patron. Exactement ce que celui-ci voulait.

« Qu'est-ce que c'est que ce raffut ?
— C'gus-là vous cherchait.
— Ouais, et regardez avec quoi...
— Il voulait vous tuer, le salopiaud.
— Vraiment ?
— Ouais ! On lui fait visiter l'port, patron ?
— Mais puisque je vous dit que le violoncelle n'était pas armé...
— Le... violoncelle ? Drôle de nom pour une arme.
— C'est un instrument...
— Un instrument d'mort, ouais.
— ... un instrument de la mort, exactement. Comme peu savent s'en servir. Et j'ai ouïe dire que vous étiez fin musicien, Monsieur Jouan. »

Shanigami put finalement calmer la situation et faire part à Jouan de Port-aux-Gâles du marché que lui proposait la Main du Valet Noir : s'introduire dans le camp des Bandawa contre une cargaison d'arquebuses. L'échantillon qu'avait amené avec lui Shanigami, une arme originaire de Srambad du plus bel ouvrage, convainquit Jouan qui ne voyait pas comment refuser une telle offre. Il devait justement se rendre chez les Bandawa dans quelques jours... Il n'allait jamais seul à ce genre de rendez-vous, et il pourrait bien prendre quelques compagnons en plus avec lui...

L'accord était donc conclu. Le Trèfle s'occupera des détails...

Après plusieurs heures de marche dans la forêt, la délégation arriva enfin à destination : une palissade en bambous percée d'une grande porte se dressait devant eux.

« Qui va là ?
— Jouan de Port-aux-Gâles. J'ai affaire avec votre chef. »

La porte du village des Bandawa s'ouvrit. Un garde fit signe au marchand et aux trois personnes qui l'accompagnaient de le suivre : il les introduisit dans le dojo du village. Le chef du clan, Pocho, qui les y attendaient, leur servit la boisson locale en guise de bienvenue. Il s'isola ensuite avec Jouan pour discuter des arquebuses qu'il souhaitait lui acheter.

Shanigami et Garnan en profitèrent pour s'éclipser.

*
* *

Un tremblement de terre surprit Shanigami pendant qu'il examinait une maison dont les fenêtres étaient bardées de barreaux.

« Tais-toi, toi ! »

C'était le pandikaze qui gardait l'entrée de la maison. L'énorme créature tapait sur son ventre qui criait famine.

« Bonjour l'ami ! salua l'osamodas.
— Halte ! Halte-là ! Pas l'droit d'entrer ! s'écria le garde dans un sursaut.
— Entrer ?
— Entrer.
— Mais pourquoi donc voudrais-je entrer ?
— C'est vrai ça, pourquoi ?
— Y a quoi à l'intérieur ?
— Pas le droit de dire !
— En tout cas, doit pas y avoir à manger. Sinon vous ne mourriez pas de faim ici ! »

Shanigami et Garnan multiplièrent les tentatives pour détourner l'attention du garde. Mais le balourd, qui refusait de quitter son poste, commençait à devenir méfiant.


« D'abord, t'es qui, toi ? On m'a dit de pas faire confiance aux étrangers.
— Moi ? Un étranger ? Mais pas du tout ! Je suis un bon ami des Pandikazes. J'exporte tout plein de choses pour vous ! De la nourriture, des armes...
— De la... nourriture ?
— Hé oui ! Je me nomme Jouan de Port-aux-Galles. Retenez mon nom car je vais souvent revenir vous voir.
— Tu as de la nourriture, pour moi ?
— Je viens de livrer un repas pour votre village. Et tous vos amis y ont été conviés...
— Je sais... Mais j'ai volé un œuf et le cuisinier m'a vu... Alors voilà, j'ai pas le droit au banquet.
— Cette fois-ci vous ne volerez rien. Vous voulez que je demande au cuisinier de vous apporter quelque chose ?
— Oh non ! Il est furieux !
— Non mais je vais lui demandez des choses pour moi. Ne bougez pas. »

*
* *

En échange d'un œuf, le garde laissa Shanigami entrer dans la maison. Ventre affamé n'a pas d'oreilles ! Hélas, contrairement à ce qu'il espérait, Kaleilah n'y était pas enfermée : loin d'être la prison qu'il espérait trouver, la maison était une bibliothèque, ou un bureau. En fouillant dans la paperasse qui traînait, l'osamodas trouva une lettre qui semblait correspondre à ce qu'il cherchait :

« Livrer le colis le 4 aux coordonnées suivantes... »

Ces quelques mots étaient suivis d'une série de chiffres.

« Le colis .. Kalei ? Ou encore une question d'armes... Si c'est le 4 flovor, c'est peu après sa capture » pensa-t-il.

Garnan arriva sur ces entrefaites. Il venait d'apercevoir un pandikaze traverser le village à toute allure en portant une lettre à la main. Peu après, Pocho, le chef du village, arriva sabre au clair, en appelant la garde. Garnan et Shanigami prirent la fuite mais, arrivés sur les quais, ils se retrouvèrent coincés entre la mer et Pocho, que deux gardes venaient de rejoindre. Shanigami se réfugia dans une maison pour envoyer la lettre qu'il avait trouvée aux Têtes ; Garnan, couvrant ses arrières, dégaina son épée et fit face aux Pandikazes.

« Gardes, celui-ci est à moi. Selon nos anciennes traditions. Quant à celui qui se cache dans cette maison, gardez-le en vie. C'est un cadeau pour les Opalins. »

Un duel entre les deux homme s'engagea. Un des gardes se saisit de Shanigami mais celui-ci parvint à s'enfuir et plongea dans l'océan. Des gardes supplémentaires approchaient à pas de course. Garnan terrassa le chef Pocho et tua un des gardes. Les torches approchaient, des arquebuses pointaient sur le zobal. Il sauta à l'eau et s'enfuit sous les détonations.