[Quête mineure] L'armée de Tesmort

* * *

Le regard était posé négligemment sur le ciel, voguant tranquillement entre les îles cotonneuses. Une légère bise s’invitait par la fenêtre qui, grande ouverte, donnait sur quelques bâtisses en périphérie de la cité. L’air doux berçait le calme ambiant : à cette heure-ci, sous un soleil inhabituellement écrasant peu de gens des environs s’aventuraient à en braver les rayons. L’activité reprendrait dès lors que la chaleur décroitrait, et toute la ville s’ébranlerait d’un coup comme si elle avait retenu son souffle jusque-là. C’était dans ces instants qu’Astrub se révélait ; sous la pénombre vespérale ressuscitaient les travailleurs, les badauds, ses curiosités et ses curieux, en bref tout un écosystème riche et passionnant d’individus bigarrés qui donnaient son charme à la cité pittoresque. Toutefois, avant d’y parvenir il fallait attendre. Et cette attente se faisait longue…

Sur le front, l’inquiétude perlait. Cela faisait un moment déjà que la réponse aurait dû être arrivée ; sa mandataire n’avait pas pour habitude de faire languir ses contacts. Que signifiait alors ce retard ? Un oubli passager, un contretemps malheureux, ou bien… Il valait mieux ne pas y penser, son acolyte n’était pas démunie, elle savait se défendre. De plus si elle venait à échouer il suffirait de disparaître une fois de plus. Retenter sa chance plus tard jusqu’à sa réussite, leur réussite. C’était ce qui était convenu. Aussi, avec autant de résolution que le tracas qui grondait intérieurement, la sérénité inébranlable couvait les apparences.

Dénouant l’entrelacs de pensées, un piaillement retint l’attention de l’oreille aux aguets. Une petite boule de plumes au jaune vif se posa sur le rebord de la fenêtre et la main qui vint la libérer de ses obligations ne se fit pas attendre. Une fois délesté du petit rouleau de papier le volatile s’envola guilleret vers la cabane où l’attendait son salaire. Non moins pressés, les doigts agiles déroulèrent le manuscrit pour y découvrir le message suivant :

Un discret sourire vint cueillir ces derniers mots, tandis que les yeux se reportaient scrupuleusement sur l’indication en petits caractères.

Un regard fut jeté en conséquence vers la cabane à oiseaux. Tout semblait aller pour le mieux ; pour le tofu gourmand, comme pour les affaires. Ainsi, un court instant la satisfaction pointa son museau, les lèvres s’étirèrent un peu plus, mais toute émotion suspecte disparut bien vite tandis que le message subissait le même sort. Bientôt sonnerait l’heure de la revanche, mais, conformément aux habitudes locales, pour l’heure il fallait attendre…

* * *

Déchirant la quiétude environnante, un râle sépulcral secoua le corps étalé à l’abri des regards. Progressivement, les membres regagnèrent un semblant de vie, comme réveillés contre l’ordre des choses par une consigne muette. Les doigts s’animèrent tels ceux d’un pantin exécutant une danse macabre, tandis qu’un tremblement suspect s’empara des autres muscles.

Soudain, un bras se dressa vers le ciel, le dos s’arc-bouta, et les mains en souffrance se figèrent. Un cri strident retentit quand les deux enfants qui épiaient la scène s’enfuirent horrifiés. L’être ne se mit cependant pas à leur courir après, au contraire, il demeura immobile dans sa posture surréaliste quelques instants avant que ne survienne plus terrible encore. D’un coup, les paupières s’ouvrirent en grand, la pupille fixe semblant percer le tissu de la réalité pour observer l’au-delà. Puis, bondissant sur ses pieds, l’œil fou, le disciple de Sadida s’exclama :

« Je l’ai vu ! Tesmort, c’était bien lui ! »

Brûlant de passion, il ne perdit pas une seconde. Après pareille révélation, le touffu ne doutait pas que le destin guiderait ses pas vers un prochain miracle. Car comment ne pas croire, après un tel événement, que le sort lui réservait un grand rôle ? Il devait – non, tous devaient – suivre la voie tracée par son rêve, rejoindre le cortège du grand Héros, participer à l’écriture de sa légende.

À quelques pas de l’arbre derrière lequel il sommeillait, il croisa une affiche portant le nom de son idole qu’il avait remarquée plus tôt en arrivant. Fort d’une certitude sans bornes, il jugea avec clairvoyance qu’il s’agissait d’un signe. Tout concordait : le fait qu’il ait vu cette affiche avant son rêve ne pouvait qu’être un présage. Et le fait qu’il passe devant à nouveau par pure coïncidence ne trompait pas son esprit aiguisé : il fallait y lire un indice puissant envoyé par l’univers.

« L’armée de TESMORT recrute ! Vous qui lisez cette affiche avez probablement été bercé aux exploits héroïques du grand steamer TESMORT, mais vous avez faim de plus ? Vous désirez vivre l’action ? L’aventure ? Ou bien vous souhaitez simplement contribuer à la gloire de TESMORT en vous ralliant à notre bannière ? Nos activités vont de l’entraînement physique des apprentis disciples à la recherche de trésors à la valeur inestimable ! La seule qualification requise est une admiration sans borne pour TESMORT, notre grand héros à tous. Rejoignez-nous tous les soirs sur la place face à la taverne du Lépreux Chauve, établissement favori de TESMORT ! »

Le sadida sentit bouillir en lui une énergie telle qu’il n’en avait jamais connue, une ivresse euphorique à nulle autre pareille. Il n’y réfléchit pas à deux fois, un luxe qu’il ne pouvait plus s’offrir s’il voulait pouvoir suivre le rythme de sa nouvelle vie ; tel son modèle, il décida de se fier uniquement à son instinct et prit la décision de rejoindre coûte que coûte cette armée de Tesmort que la fortune avait présentée une seconde fois à ses yeux. Sans attendre, il se dirigea vers le lieu de rendez-vous, quand bien même le soleil était encore haut dans le ciel.

Une fois parvenu sur place, l’adepte de Sadida fut déçu de constater qu’il était effectivement parvenu trop tôt au point de rencontre. Cependant, ne se laissant pas décontenancer par la tournure des événements, il décida de profiter du temps qui lui était accordé par le destin pour annoncer la bonne nouvelle aux quelques passants qui osaient braver les coups du soleil. Le touffu se réjouissait à l’idée de partager avec les ignorants l’espoir et le bonheur de son message. Les cris qu’il reçut furent mis sur le compte du choc qu’engendrait une telle révélation ; tous n’avaient probablement pas la carrure pour être élus par la providence tel qu’il l’avait été…

Enfin, par un malheureux coup du sort, les lieux furent désertés par les habitants, et il n’eut plus personne à convaincre. Le fanatique épuisé s’accorda donc un moment de pause pour reprendre des forces. Assis contre un arbre, il ne tarda pas à replonger dans ses rêves…

-

Le chant enjoué fit entrouvrir un œil au sadida, qui avait reconnu l'air – un incontournable pour les fans aboutis de Tesmort, écrit pour ce dernier par une de ses plus fidèles adeptes. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il en chercha l’origine et reconnut Estelle Reas, inventrice de ces jolis couplets, et dont la voix claire leur faisait honneur. Entourée de quatre autres personnes, la jeune disciple de Pandawa au pelage marron clair et à la tenue soignée semblait être le centre de l’attention alors qu’elle continuait à interpréter sa chanson.

La roublarde du groupe en particulier – une femme aux cheveux roses et dont les grands yeux noirs trahissaient sans peine l’admiration – n’en perdit pas une miette puis se mit à applaudir à tout rompre lorsque sa camarade eut fini.

« Ouah ! J’adooore comment tu chantes Estelle ! Trop belle ta chanson en plus ! »

Ce à quoi le grand gaillard d’osamodas à la jambe de bois qui se tenait à côté d’elle renchérit :

« Mille… lucarnes ! C’est vrai qu’elle chante bien la petite. Ceci dit, c’est bien beau tout ça, mais ça ne nous avance pas pour trouver des trésors ; on a des nouvelles du trésor qu’on cherchait la dernière fois ?

– Pas tout à fait, mais j’ai une piste pour vous ce soir, réplica un disciple du Dieu félin au pelage noir. »

La dernière du groupe n’avait pas encore pris la parole, mais la carcasse de bouftou qui lui servait de couvre-chef dévoilait au monde sa puissance bestiale. C’est en s’intéressant à cette dernière que le sadida pleinement réveillé aperçut enfin ce qu’elle masquait : disposé devant le séduisant écaflip, un grand marteau de guerre imposait pour son porteur le respect qui seul est dû aux véritables combattants.

La certitude frappa le jeune adepte du steamer invincible de plein fouet. Une telle concentration de talents réunis pour une même cause, cette dernière ne pouvait être que d’une importance capitale ! L’instinct lui susurrait qu’il avait trouvé ce qu’il était venu chercher, il s’y fia. Libéré de tout doute, le disciple du Dieu aux poupées se releva et s’avança alors vers eux pour accomplir ce que le destin attendait de lui.

« J’ai eu une vision ! entama-t-il alors qu’il arrivait à leur hauteur, en coupant la parole à l’écaflip ; une vision dans lequelle nous marcherions main dans la main pour faire honneur à notre modèle à tous, l’incroyable Tesmort. »

Face à l’incrédulité de ses interlocuteurs il ne se démonta pas et enchaîna :

« J’ai vu d’un monde dans lequel nous deviendrions ses plus fidèles et zélés serviteurs, afin de le hisser bien au-delà du panthéon des héros connus à ce jour ; un rêve pour lequel je donnerais tout ce que j’ai et ma vie avec, bien que ce prix soit dérisoire pour ce que je cherche à accomplir. Aussi je suis venu vous chercher aujourd’hui pour vous poser cette question : armée de Tesmort me feriez-vous l’honneur de me laisser rejoindre vos rangs ? »

Quatre paires d’yeux jugèrent le nouvel arrivant avec scepticisme. Le fan enthousiaste profita de l’ouverture pour se présenter – « Nopac, pour vous servir, et pour servir Tesmort – mais le couperet ne tarda pas à tomber sur ses espoirs :

« Toi, tu n’as pas l’air de savoir te battre… as-tu conscience qu’en nous suivant et en prenant la voie que nous montre Tesmort tu risqueras ta vie à chaque instant dès lors que tu mettras tes pieds hors de la cité ? interrogea l’écaflip, la mine grave.

– Je le sais, oui, mais cela ne m’inquiète pas. Comme je vous l’ai dit, je mets ma vie en jeu pour cet idéal, réplica l’intéressé sur un ton tout aussi sérieux.

– Et bien… Je suppose que nous devons recruter tout volontaire comme convenu… Je ne m’oppose pas à ce que tu nous rejoignes. Si tu sais écrire, tu pourras te charger de consigner nos exploits dans un premier temps, car nous voulons que ces derniers puissent profiter à la gloire de Tesmort à travers le temps. Cela te conviendrait-il ?

– Ce serait un honneur, je ne sais comment vous remercier, Monsieur...

– Elderuc, Elderuc Toutaf… »

Il fut interrompu par la roublarde survoltée, dont les cheveux ébouriffés soulignaient le caractère exubérant. Cette dernière fondit vers lui, la curiosité scintillant dans les prunelles.

« Enchantée, moi c’est Groupsie ! Je suis ravie que tu nous rejoignes, je suis pour aussi ; et tu ne sais même pas te battre – quel courage ! Tu viens d’où ? Et c’est quoi cette vision dont tu parlais ? Tu vas vraiment écrire tout ce qu’on fait ? Et... »

Le nouveau venu, sonné, ne parvint pas à suivre le flot de questions qui paraissaient surgir sans fin dans l’esprit de l’adepte des explosifs. Cependant, il fut rapidement sorti de ce mauvais pas par l’intervention de la pandawa.

« Pour finir de nous présenter, je suis Estelle Reas, mais peut être me connais-tu déjà ? questionna-t-elle en paraissant déjà connaître la réponse. Elderuc, Groupsie et moi-même avons fondé l’armée de Tesmort, puis nous avons été rejoints par le Capitaine Madosa, un ancien marin reconverti dans la recherche de trésors sur la terre ferme, dit-elle en désignant le grand osamodas aux allures de pirate, et enfin notre dernière recrue avant ton arrivée, Podarme, qui est une combattante redoutable ! »

La fécatte désignée par la star du groupe se démarquait par l’odeur du compagnon mort qu’elle transportait sur elle et son air malade, mais Nopac ne douta pas un instant de ses capacités. Élu du destin, il se sentait invulnérable, et son intégration au sein du groupe le prouvait bien : rien en ce jour ne parviendrait à porter préjudice à son ambition. Cependant, soucieux de l’immense chemin qu’il restait à parcourir pour répondre à cette dernière, il demanda :

« Je vous ai interrompus dans une de vos discussions par mon arrivée ? Je ne voudrais pas que vous oubliiez quelque chose d’important par ma faute !

– Non, pas du tout ! Nous discutions simplement des actualités et attendions de voir si de nouvelles recrues viendraient se joindre à nous, rétorqua Groupsie du tac au tac en ponctuant sa phrase d’un clin d’œil taquin. »

Ce faisant, elle montra au bleu un exemplaire du journal local qu’elle gardait sur elle mais dont aucun des articles mis en avant – L’été arrive ! choisissez vos plus belles tenues avec Croustina Crocdula, Des monstres braconnés au marché d’Astrub !? une enquête de Louise Laine, et l’habituel Scandale ! La princesse Ypleult a trouvé l’amour, et l’heureux élu va vous surprendre !! par Pipol Famousse – ne retint son attention.

« Peut-être que nous pourrons compter sur plusieurs adhésions ce soir si nous avons de la chance, acquiesça gaiement Estelle, attendons encore un peu ici pour voir. »

* * *

Le hurlement de sa jumelle ne manque pas de lui faire lâcher son magnifique cake bananes à peine sorti du four. Le moule éclate au sol et bien sûr, elle était sur le point d'enguirlander sa frangine, mais celle-ci prononça son nom

Son. Nom. À lui.

Pas un regard pour le dessert gâché dégoulinant sur le carrelage. Pourtant, il avait l'air si bon mais qu'importe.

- TESMORT ?? T'AS DIT TESMORT ??

Mais celle qui lui ressemble trait pour trait disparaît dans les escaliers sans une réponse, pas même elle ralentit, probablement pour prendre de l'avance ? La doubler et avoir le privilège de contempler SON idole la première !?

La guerre de celle qui aura préparé son sac au plus vite est lancée, Lola sera sans pitié.

- HEEEY ATTEND MOI !!

Elle fonce comme une dératée et part faire ses bagages. Sac rose, orné d'un joli nœud de la même couleur, mais le sien c'est le mieux.

Fièrement prêtes, c'est finalement l'une à côté de l'autre qu'elles se dirigent vers la place du Lepreux Chauve.

Nopac ne sut déterminer si ce furent les nouvelles venues qui furent peu discrètes, ou si ce fut le regard aiguisé de la roublarde qui les repéra en premier. Quoi qu'il en soit, lui n'avait rien vu venir, perdu entre ses rêves prémonitoires - un résidu d'une de ses précédentes aventures où il s'était confronté à des xélors maléfiques - et les discours sans fin d'Estelle sur la marche à suivre pour avoir un charisme inspiré de celui de leur héros.

Le tirant de ses songes, la roublarde fit remarquer avec passion la présence des deux jumelles, interrompant le monologue de la pandawa par la même occasion :

"Attends Estelle, attends ; regarde là bas, les blondes qui se ressemblent comme deux gouttes d'eau ! Vous avez vu leurs sacs !? J'adore !! Il me faut absolument le même ! Vous croyez que je peux le trouver facilement ? Ou leur acheter ? Ah non mais attendeeeez, maintenant que je vois mieux, il y en a clairement un qui est bien mieux que l'autre - c'est lui qu'il me faut !"

Sur quoi la disciple de Dralbour partit comme une furie en direction des inconnues, laissant sur place le reste du groupe qui n'avait pas encore eu le temps de réagir. Quelle ne fut pas leur surprise lorsque le trio se présenta devant eux comme une fleur - une rose bien rose - quelques instants plus tard.

"Devinez qui je ramène ! annonça gaiement Groupsie dont le regard semblait toujours plus intéressé par l'article de mode convoité que par le groupe auquel elle s'adressait."

Des regards circonspects accueillirent les nouvelles venues, sauf pour Nopac qui y vit un signe du destin - ne s'était-il pas cogné la jambe par deux fois au même endroit le matin même après tout ? - et pour Podarme qui n'y vit rien du tout et dont l'intensité de la pâleur n'avait d'égale que l'odeur de son couvre-chef.

"Bienvenue dans l'Armée de Tesmort... je suppose ? enchaîna Estelle en s'adressant aux jumelles." Puis elle leur présenta succinctement les membres de l'équipe comme elle l'avait fait pour le sadida.

Elle n'avait d'yeux que pour l'affiche placardée du maître des lieux et bien que des noms furent cités et des visages pointés, Lola n'y prêta pas la moindre attention. Un sourire, si béat qu'il en devenait dérangeant, traversait son minois enfantin de part en part. Quant à ses yeux, de petites étoiles y scintillaient si fort que des larmes finirent par rouler sur ses joues roses. La demoiselle à demi en transe refusait de battre des cils, de peur que son héros ne se volatilise entre deux.

À un moment, il lui sembla que la disciple de Pandawa venait d'achever le pourquoi elle s'était mise à parler et nom d'un Iop, quelque chose se mit à bouillonner tout au fond de sa caboche. Une sorte de fusion brûlante, au moins huit neurones se mirent en branle, c'était le signal. Son moment, son heure, elle inspire à fond et se met à hurler de toutes ses forces son nom, comme pour tenter de le graver à jamais en la mémoire de chacun :

- LOLA BRUTI !!!

Avec ça, elle entrerait dans la légende. Puis elle s'écroule à genoux nez baissé et corps tremblant, avant d'ajouter dans un souffle heureusement essoufflé : Je suis sa plus grande admiratrice...

Elle s'était exprimée avec son cœur à n'en pas douter. Mieux encore, elle avait parlé avant Samantha.

La passionnée relève son menton avec un air de conquérante sur le point de partir pour la quête de toute une vie. Joignant ses mains en signe de prière, elle reprend un poil d'assurance et affirme : Je suis prête à servir Monsieur Tesmort ! Même si pour ça je dois ... Je dois...

Petit instant de doute, son regard se pose sur sa jumelle et la réponse devint une évidence.

- Même si pour ça je dois arracher les ch'veux de ma sœur !

Un frisson parcourut l'échine de Nopac à l'écoute de ces discours. Étaient-ce les mots puissamment sages de la disciple de Iop, le verbe redoutable de sa jumelle, ou bien la force sauvage qui émanait par tous les pores de Jeff-le-terrible-au-masque ? Une chose était certaine : tant de fougue, tant de passion ; oui, la flamme dansait dans leurs yeux à n'en point douter, et le feu nommé destin embrasait leurs veines. Cela remémora à Nopac des souvenirs de ses jeunes années, lorsque les habitants de son village natal s'étaient réunis pour l'exhorter à parcourir le vaste monde. Les encouragements – dont l’écho l'accompagnait encore aujourd'hui – et leurs yeux débordant de fierté qui avaient même laissé couler quelques larmes avaient été son premier salaire de héros. Il faut dire que pour son baptême du feu, il n'avait pas fait moins que de prévenir une vicieuse épidémie orchestrée par des démons en brûlant les réserves de céréales contaminées du patelin ; un plan sans faille qui lui avait valu sa première victoire. La même lueur de gratitude et d'admiration infinie brillait dans leurs yeux.

Mais le passé appartenait à Xelor, le futur, lui, appartenait à Tesmort – le choix était vite fait. Parmi les disciples de ce dernier, certains conservaient toujours une longueur d'avance. C'est ainsi qu'Estelle, qui avait effectué cette pirouette mentale plus rapidement que tout le monde, enchaîna naturellement :

"Que d'engouement ce soir ! Bienvenue à vous trois, nous sommes tous ravis de constater votre motivation à nous rejoindre, - Oh oui ! oui ! ponctua Groupsie - Lola, Jeff, et..?"

Le capitaine Madosa visiblement peu convaincu marmonna quelque chose dans sa barbe à propos de trésor, ce qui n'échappa pas au scribe de l'assemblée. L'émotion le submergea lorsqu'il comprit que ce dernier se faisait violence pour ne pas partir sur le champ servir la gloire de Tesmort, mais il la tût par respect pour la volonté inébranlable de l'osamodas.

- Pssssssst, t'as vu ça ?! C'est le même marteau que Tesmort, tu crois il lui a piqué et il vient chercher la bagarre ?

La question de sa jumelle lui fit plisser le nez, une mimique traduisant un subtil mélange de jalousie et de dédain. Elle se relève, époussette ses genoux et lâche un très bref regard en direction de ladite arme légendaire. Hors de question de flatter l'égo de cet usurpateur, rapidement elle reporte son attention sur Samantha et marmonne un "bouarf..." que sa frangine pouvait aisément traduire en "non mais tu rigoles, c'est sûr que c'est du toc, pour qui il se prend ?!" ou quelque chose du genre...

"Que d'engouement ce soir ! Bienvenue à vous trois, nous sommes tous ravis de constater votre motivation à nous rejoindre, - Oh oui ! oui ! ponctua Groupsie - Lola, Jeff, et..?"

- Elle s'appelle Samantha ! Quand est-ce qu'Il arrive ? On doit faire quoi ? Moi j'suis prête !

Répondre à sa place, c'était son challenge au quotidien, sa petite satisfaction personnelle.

Pour parfaire sa position de future favorite incontestable, Lola tape la pose. Un mouvement de hanche sur la gauche, elle croise les bras et arbore son sourire de gagnante : Celui-là même qui lui avait permis de remporter la médaille de Miss pâturages l'année dernière.

J'balance mon fléau et trace une diagonale bien droite, vers le bas. Son tibia se fracture sec, le résonnement sinistre fait trembler les spectateurs qui s'accrochent à leurs sièges. Puis, mon poing fuse dans son foie : il grimace de plus belle se plie en deux. Mon genou n'attend pas intercepte sa mâchoire si bien qu'ses incisives marquent ma chaire. Mon adversaire tombe, inconscient. Enfin, la foule m'acclame. Quatorze années que j'me bats à l'arène du Col d'Isée et j'peux toujours pas m'passer de cette sensation.

Marco Attilias, c'est mon nom. Mes parents, criblés de dettes par une entreprise en faillite m'ont utilisé en dernier recours pour renflouer les caisses aux combats clandestins. J'avais qu'douze ans quand j'le tenais déjà, ce fléau. Mon maitre était dur, moi j'étais appliqué et assidu. Et aujourd'hui, j'avoue sans vouloir me vanter que j'suis devenu une attraction, ici !

Les affaires de mes vieux m'intéressent pas, mais l'argent non plus. Ce que je veux moi, c'est rencontrer la légende ... Les plus vieux du camp d'entraînement en ont les muscles saillants d'admiration dès qu'ils en parlent. Un type invaincu durant une centaine de combat ... Un unique marteau à ses côté qu'ont dit offert par Xélor lui-même ... Sans parler des femmes qui s'évanouissent de plaisir rien qu'en le croisant dans les rues ...

Mon héro, mon modèle. Mais tout ceux qui racontent ses exploits ne l'ont jamais vu. Ce type n'est peut-être qu'une legende, mais moi, j'ai envie d'y croire.

Quand arrive alors ce jour ...

Toute la semaine j'envoie mes membres dans les côtes et les dents d'mes concurrents, alors l'dimanche j'en réserve un autre, de mes membre, à ces chères demoiselles de Madrestam, vous voyez, pour me relaxer. Et là, alors que j'vois Anya dehors, qui m'attend (faut dire que j'ai mes p'tite habitudes ici), quelle ne fut ma stupefaction en voyant cette affiche.

Le grand Tesmort recrute, putain ... Le héro, la légende. C'est lui.

La détente attendra. Direction la place indiquée. Une fois arrivé, j'vois un gars qui semble prendre des noms. J'bouscule deux pimbêches de deux têtes plus petites que moi qui bloquent le passage et m'présente d'une voix aussi forte que je le peux :

- Marco, au service du Grand Tesmort l'Invaincu !

Le malin taiseux jugeait la scène de ses yeux félins. Quatre nouveaux, sans compter l'autre brindille, c'était peu banal pour l'équipe. Une aubaine ? Il n'aurait su le déterminer. À vrai dire, il était assez circonspect sur l’utilité de certains d’entre eux. Un poids mort passe encore, mais plusieurs… Sa route d'aventurier avait été parsemée d'ingénus fanatiques, aussi il lui semblait reconnaître des profils particuliers. Profils qui n'étaient pas adaptés à la grandeur que lui avait inspiré Tesmort. Le héros invincible était bien plus qu'un simple objet d'admiration, il était le plus impressionnant de tous, l'aventurier sans faille, l'élu censé les guider tous vers un avenir radieux - moyennant un peu de baston. Cependant… devant l’enthousiasme de ses camarades, Elderuc garda ses pensées pour lui.

En réalité, ce fut surtout l’arrivée du dernier larron qui lui redonna quelque espoir. À ses yeux, le colosse éclipsa immédiatement le dénommé Jeff et son marteau – une simple copie de Höctav, certes parfaite, mais sans aucun style propre ! – ainsi que les jumelles occupées à se crêper le chignon. Il l’accueillit donc comme il se devait :

« Bienvenue Marco, nous sommes honorés de te compter parmi nous. C’est une belle arme que tu transportes avec toi – moins efficace qu’un marteau, certes, mais… – tu sais bien t’en servir je présume ? »

Dans le même temps il mit en valeur son gros marteau afin de montrer au bonhomme qu’ils jouaient dans la même catégorie. Point de rivalité ici, seule une solidarité virile basée sur le respect mutuel leur permettrait d’approcher le niveau légendaire de Tesmort.

« Bien sûr bêta ! intervint Groupsie, regarde ces muscles impressionnants – il en a même plus que toi – ça ne peut pas être n’importe qui ! »

Puis après une brève réflexion elle ajouta sur le ton enjoué qui la caractérisait : « Dis le nouveau, tu voudrais pas te battre contre Podarme pour voir ? Elle est plus forte qu’elle en a l’air sous ses airs tout mimis ! »

La sus-nommée sembla montrer peu d’intérêt pour la proposition, mais la publicité qui lui était faite fut l’occasion pour tous de conclure d’où venait l’odeur nauséabonde qui leur titillait les narines depuis le départ. Le soleil avait fait son effet sur Cagdor et il faudrait attendre encore quelques heures avant que la puanteur ne redevienne supportable…

« Allons, allons, recadra la disciple de Pandawa. Gardons un peu de cet entrain pour plus tard, nous en aurons besoin. Vous êtes évidemment tous les bienvenus, puisqu’il n’y a pas de doute, vous êtes au bon endroit si vous voulez vous approcher de la vie de Tesmort. Cependant, pour répondre à ta question Lola, avant que Son éminence nous fasse l’honneur de nous rejoindre, il faut que nous lui prouvions que nous sommes à la hauteur de sa réputation. Lui assurer que nous ne la salirons pas en somme… D'ailleurs, si vous n’avez pas d’autres questions, Elderuc pourra probablement nous expliquer nos prochains projets sans attendre. »

Ce disant, elle jeta un regard entendu au matou.

Un long, très long silence suivit la perspective avortée d'un combat palpitant, puis l'annonce de Sa présence qu'il fallait mériter. Si long que ça en devenait gênant, tous se regardaient bêtement,  à tel point que même Samantha paraissait moins sotte qu'à l'ordinaire. De toute évidence, personne n'avait de question et c'est Lola qui se décida à venir rompre le malaise en proposant de sa voix fluette :

- Monsieur Eldetruc... Je crois que vous pouvez prendre la parole...?

S’arrachant aux divagations de ses pensées, Elderuc reprit la place de leader qui lui revenait. Finie la perte de temps : il avait une mission.

« Oui, tu as raison - mais c'est Elderuc - je vais vous présenter le prochain objectif de l’armée de Tesmort, soyez attentifs. » Il jeta un regard aux alentours pour vérifier qu’aucune oreille indiscrète ne les épiait puis reprit. « Comme je l’ai mentionné un peu plus tôt devant certains d’entre vous, j’ai une piste à vous proposer pour découvrir ce que je soupçonne être un trésor. Vous avez peut-être eu vent du défi lancé par une pandawa du nom de Lucie Sif ? En quelques mots, elle a mis au défi quiconque se présentait à elle ce soir de la vaincre en combat singulier à mains nues ; la récompense pour la victoire est de 50 000 kamas, et elle ne demande rien en retour… »

Le Capitaine Madosa hocha la tête silencieusement, tandis que Nopac prenant son rôle de secrétaire avec le plus grand des sérieux, entreprit de consigner les informations. Podarme les yeux perdus dans le vide et les sourcils froncés, semblait mener une lutte intense de son côté. Du point de vue du sadida, il s’agissait certainement de la stratège du groupe qui établissait déjà des plans d’action.

« Proposer ce genre de défi en sachant Tesmort dans les environs est, nous le savons tous, au mieux stupide, au pire suicidaire. Je pense donc qu’il y a une troisième solution : cette personne possède un atout dans sa manche. Un atout si puissant qu’il lui permettrait d’envisager de vaincre n’importe qui, et même de rivaliser peut-être avec Tesmort. Notre mission sera de nous informer sur ce qui procure à Lucie cette assurance et si possible de mettre la main dessus. » Du regard, l’écaflip jaugea la réaction de son public suite à ses révélations. « Dans tous les cas, faites attention on ne connaît pas sa force véritable, ni d’où elle provient. Dans un premier temps et tant que ça ne sera pas le cas, nous chercherons simplement à lui soutirer quelques informations… subtilement, ajouta-t-il alors que le doute transpirait de ce dernier mot. Vous en sentez-vous capables..? Ou bien avez-vous d'autres objections ? »