[Quête initiatique — Shanigami] Une peau bleue sous une peau verte

Ici se déroulera la quête suite à laquelle Shanigami pourra obtenir son Sept de Cœur. Elle se déroulera intégralement sur le forum. Les Têtes et les Compagnons joueront le rôle de « Maître du Jeu. »

Petite particularité cette fois-ci, cette quête se déroulera en parallèle avec celle de Garnan. Les deux Doigts pourront collaborer et communiquer entre eux, en Role Play, grâce aux tofus messagers que leur aura confiés Emyn Muil. Le texte de chaque message envoyé devra être reproduit dans chacun des deux sujets. Celui de la quête de Garnan se situe à cette adresse.

Suivant un sentier étroit cheminant le long d'un ruisseau, Shanigami et Garnan s'enfonçaient lentement dans la Forêt des Abraknydes. Tandis que les arbres se faisaient peu à peu plus gros, plus grands, plus vieux et plus mélancoliques, ils se remémoraient les instructions que leur avait données Emyn Muil :

« Les pillards qui attaquent nos convois appartiennent à la bande d'un certain Bwaader. Ils se sont établis dans la Forêt des Abraknydes, dans les ruines d'une ancienne ferme située dans un vallon non loin de l'orée est de la forêt qui devait autrefois être cultivé.

Un vieil ami que je n'avais pas vu depuis plusieurs années est de passage à Astrub ce moment, ce qui ne lui arrive pas souvent. Je l'ai rencontré il y a bien longtemps, durant mes voyages de jeunesse. C'est un homme des terres sauvages, un peu austère mais loyal. Vous pouvez lui faire confiance. Il s'appelle Boghdohir. Il a accepté de nous aider pour cette aventure — il me devait un service.

Nous avons appris que les Bworks étaient régulièrement ravitaillés en bière de bwork, puisqu'ils détestent les bières des environs. Nous avons pu capturer le convoyeur qui devait se rendre bientôt au camp de Bwaader. Grâce à une potion de ma confection, tu prendras son apparence, Shanigami. Les effets n'ont qu'une durée de deux heures, tout au plus. Il te faudra donc agir vite. Ton objectif sera de t'introduire dans le camp et de trouver des informations sur la personne pour qui Bwaader travaille.

Pour te faciliter la tâche et mettre toutes les chances de notre côté, Garnan fera diversion, avec l'aide de Boghdohir, en simulant une attaque du camp des Bworks. Vous pourrez communiquer rapidement et coordonner vos actions grâce à deux tofus apprivoisés, venant de la volière du Valet Noir elle-même.

Pour vous rendre sur place, et afin d'éviter le chemin le plus fréquenté, vous devrez emprunter un sentier étroit et tortueux, qui arrive depuis le sud. Boghdohir vous attendra à l'entrée du vallon, à un endroit où se dressent trois grandes pierres dressées sur un monticule, que vous trouverez un peu à l'écart du chemin sur votre droite. C'est là qu'il aura caché la cargaison du marchand de bière. Il se sera également chargé de faire la reconnaissance des lieux avant votre arrivée. Il vous donnera donc toutes les informations qu'il a pu obtenir sur la situation.

Vous partez demain, deux heures avant l'aube. Des questions ? »

Après un certain temps, le ruisseau finit par disparaître sur leur gauche dans une combe escarpée. Le chemin montait désormais au sommet des collines. Peu avant que celui-ci ne redescende à nouveau dans le creux d'un vallon, les deux marcheurs remarquèrent un sentier qui s'égarait à droite, grimpant une pente raide. Ils s'y engagèrent et trouvèrent le tertre surmonté de trois pierres dressées que décrivait Emyn Muil la veille.

L'endroit était silencieux. L'arrivée des deux aventuriers dérangea une cigogne qui s'envola à tire-d'ailes. Depuis le promontoire, ils voyaient le vallon s'étendre au-dessous d'eux. Comme attendu, ils pouvaient distinguer de gros bâtiments en ruines au milieu des bois. Alors qu'ils scrutaient le paysage, une voix les surprit derrière eux.

« Vous êtes les amis d'Emyn Muil, je suppose ? »

Ils se retournèrent et virent un homme se porter à leur rencontre, le visage enfoui dans un capuchon. Il était d'âge moyen, brun, mal rasé, vêtu d'habits bruns usés et il avait un arc à la main — ce devait être un disciple de Crâ.

« Je suis Boghdohir. Je vois que vous êtes plus ponctuels que notre ami xélor, fit-il avec un sourire en coin. Bon, ne perdons pas de temps. J'ai pu reconnaître les environs sans me faire remarquer, hier. Les Bworks ont établi leur campement dans les ruines que vous voyez là-bas. Ils doivent être une bonne trentaine. C'est beaucoup mais nullement insurmontable, si nous nous organisons bien. Ces gros lards veillent tard et leur guet n'est pas très rigoureux. L'aube nous donnera donc l'avantage.

En bas, le terrain est assez régulier mais la forêt est dense. Le ruisseau que vous avez suivi le long du chemin rejoint une rivière qui coupe le vallon en deux, de nord-ouest en sud-est. On peut la passer à gué à plusieurs endroits sans trop de difficultés. Quant au camp des Bworks, ils ne s'en éloignent guère. Ils ont bâti une palissade tout autour avec une unique porte. Il y a, me semble-t-il, trois bâtiments. Une étable à moitié effondrée où ils ont dressé des tentes, une grange où ils entreposent vraisemblablement leurs affaires et un bâtiment d'habitation où je pense que leur chef a établi ses quartiers.

Cet endroit n'a pas bonne réputation. On raconte beaucoup de choses à son sujet mais je ne sais pas si elles sont vraies. Les forestiers l'appellent le vallon des Sanglots Oubliés. Pittoresque, n'est-ce pas ? Néanmoins, bien qu'ils ont l'imagination fertile, les histoires des forestiers ont souvent un fond de vérité. Tenons-nous sur nos gardes, alors. Mais assez parlé. Suivez-moi, je vais vous conduire à la charrette. »

Celle-ci était cachée au bord du chemin, en contre-bas. Le bouftou qui la tirait paissait paisiblement, non loin, attaché à un arbre. Boghdohir l'attela solidement et Shanigami put grimper à la place du conducteur. Ils continuèrent ensemble sur quelques dizaines de mètres sur le chemin. Puis, une fois dans le creux du vallon, ils se séparèrent : Shanigami continua seul sur le chemin tandis que Garnan et le Crâ s'enfonçaient entre les arbres.

Tandis que Garnan et Boghdohir disparaissaient sous les ombres, Shanigami avançait cahin-caha sur la piste défoncée. Après une demi-heure à peu près, il entendit une rivière couler et finit par arriver devant un vieux pont en pierre sans parapet, bâti d'une seule arche au-dessus de l'eau. L'osamodas dut descendre de la charrette et tirer le bouftou par la bride pour passer l'obstacle. Alors qu'il s'approchait, il entendit des voix dans l'obscurité et des bruits de pas venant vers lui.

Dans ses affaires, il avait la potion de métamorphose de bwork, une potion de touflage (qui annulait cependant les effets de la première), un somnifère en poudre et deux capsules fumigènes données par Emyn Muil.

S'arrêtant en chemin, Shanigami examina rapidement la cargaison qu'il transportait. Une bonne douzaine de tonneaux solidement assujettis étaient entassés sur la charrette. Lorsqu'il en ouvrit un, l'envoûtant fumet d'une bière de bwork longuement et patiemment fermentée lui vint aux narines, qui ne le laissa pas tout-à-fait indifférent malgré son absence de goût pour l'alcool. Il se contenta néanmoins de refermer le tonneau et, un peu rassuré, il reprit place à l'avant du véhicule.

Lorsqu'il arriva au niveau du pont, il s'arrêta soudainement, tira l'oreille et resta un instant parfaitement figé, à l'écoute des voix qui s'approchaient en même temps que les deux formes tassées qui progressaient vers lui dans le bois. L'interlocuteur avait l'air mal réveillé et grommelait à voix haute, d'un air agacé, tandis que l'autre semblait le réprimander. L'Osamodas ne comprit que quelques bribes :

« Pas paussib' d'roux pillé trenkil-trenkil...
— Tétwa Bwatolaitre, twâ gro fée néant ! »

Pas de doute : les deux personnages étaient bien des Bworks. Shanigami saisit dans un geste la potion de métamorphose, la déboucha et l'avala d'une traite malgré son odeur peu ragoûtante. En un instant, l'Osamodas rapetissa, grossit, prit un teint verdâtre et se découvrit deux immenses canines qui sortaient de sa gueule proéminente. Juste à temps. Déjà, l'un des Bworks se dressa au bord de la route, les mains sur les hanches, tandis que son collègue le rejoignait péniblement en se frottant les yeux de sommeil.

« Ki vala ? Ki twâ hetre ? »

Quand Shanigami évoqua la bière, un éclair de curiosité passa dans les yeux du dénommé Bwatolaitre. Il feignit néanmoins un air suspicieux et s'approcha de la cargaison.

« Ça vré ? Mwa vérifié. »

Il ouvrit un des tonneaux et, quand l'odeur du malt le prit aux narines, il ne put réprimer une moue de satisfaction et de plaisir.

« Mwa devouar suivre praux cé dur, fit-il d'un air docte et sérieux. Mwa devouar gouté. »

Il détacha une corne qui pendait à sa ceinture et la plongea dans le tonneau, avant d'avaler goulument la boisson d'une seule traite. Son collègue, qui le regardait avec envie, intervint subitement :

« Atan Bwatolaitre, mwa devouar vairifié ossi. »

Il lui prit la corne des mains et l'immergea à son tour dans le récipient, la remplissant du délicieux nectar doré qui scintillait dans la lumière du soleil levant. Une fois la boisson ingurgitée, il soupira, l'air satisfait.

« Ah, par la Grende Bworkette ! Ca hetre maiyeur que bibine de parissi ! K'en ditu Bwatolaitre ?

— Ça, Bwatahoutiye, mwa hetre d'akor. Ça raispirer l'orje jône balencer maulement au grai du doue vant d'un swâr d'étai, fit-il d'un air inspiré, la main sur le cœur. Ça santir la tère fairtil dé paix-izan labauryeux den lériche kampagnes !

— Tréjoli ! commenta son compagnon, en se resservant de la boisson. Puis, comme il se rappelait de la présence de Shanigami, il lui demanda : Twâ marchendiz hetre sure-sure. Twâ devouar hetre fatigué aprai dur voillage. Twâ pa voulouar fer pitite pose et prandre apairo avek nou ? Montaie jusk'ô kamp hetre dure-dure.  »

Les deux Bworks échangèrent un regard et, après une seconde d'hésitation, le dénommé Bwatahoutiye répondit :

« D'akor ! Mé mwa devouar raister là pour monter garde. Bwatolaitre va éder twa. »

Celui-ci conduisit donc Shanigami et la cargaison jusqu'en haut de la butte. Arrivés devant la porte, ils réveillèrent le garde qui se redressa dans un sursaut et demanda, comme de coutume, qui venait.

« Karguéson de bibine, répondit Bwatolaitre. Toudroua d'ché nous !
— Sahalor ! fit le garde. Sa sakrémen beaune nouvaile ! »

Il ne put réprimer un regard curieux au moment où le charriot passait à l'intérieur du camp. Visiblement, ce n'est qu'à grand peine qu'il se retint de quitter son poste pour suivre la précieuse marchandise, dans l'espoir d'en avoir un peu pour lui.

Une fois les portes passées, Shanigami put découvrir l'intérieur du campement. Devant lui, il y avait l'étable dont parlait Boghdohir et dont une partie était effectivement écroulée. Il y avait des tentes plantées un peu partout dans le camp. Ça et là, il y avait des restes d'un feu autour desquels avaient été disposés rondins de bois et bancs de fortune. Un certain désordre régnait, ainsi que la mauvaise odeur que pouvaient laisser une trentaine de Bworks restés au même endroit dans des conditions d'hygiène médiocres depuis plusieurs semaines. Dans tous les cas, la plupart des Bworks devaient encore dormir car un grand silence régnait dans le campement. Parmi les rares Bworks éveillés, une rumeur circula soudain, se répandant comme une traînée de poudre au fur et à mesure que Shanigami et Bwatolaitre progressaient :

« La bibine ! Sayé, la bibine ! »

En fait, c'était cinq ou six Bworks qui suivaient désormais, à distance raisonnable, le convoi tant attendu. Celui-ci devait encore grimper jusqu'au sommet de la butte ; l'aide de Bwatolaitre ne fut pas inutile car il y avait un talus assez escarpé à passer. Finalement, Shanigami fut conduit devant la grange. En face, il aperçut le bâtiment qui abritait les quartiers de Bwaader : une grande bâtisse en pierre avec un étage et des combles. Il y avait six gardes qui surveillaient la façade principale, dont quatre qui jouaient aux dés autour d'une petite table installée devant la porte, sous une toile qui avait été dressée pour se prémunir des intempéries. Shanigami put également remarquer un archer Bwork montant la garde du haut d'une tour, sur la palissade, et un autre faisant le tour du chemin de ronde. Deux autres Bworks, enfin, prenaient vraisemblablement leur petit-déjeuner devant leur tente.

Une fois le charriot mis en place devant la grange, Bwatolaitre tapa quelques coups secs à la porte en annonçant :

« Karguéson de bibine ! »

Un instant après, la porte s'ouvrit sur un gros Bwork qui toisa de haut les deux arrivants. Il jeta un regard sur le charriot, s'approcha et renifla la marchandise avant d'enfin prendre la parole :

« Ah ! Ça anfin arrivé ! Vous avouar retare-retare, fit-il remarquer en regardant Shanigami avec un air sévère. Bon, féte antrer charraite alain tairieur. »

Shanigami s'exécuta. La grange était plongée dans la pénombre. Pas de foin à l'intérieur mais un ensemble hétéroclite et peu ordonné de tonneaux, de cagettes, de caisses et même d'armes et de boucliers. Il remarqua qu'il y avait une porte au fond, donnant sur la façade arrière du bâtiment. Quand Bwatolaitre voulut entrer, le grand Bwork grogna et le repoussa sans ménagements :

« Patwa Bwatolaitre ! Va retourner fère garde à pont ! Allé, zou ! »

Le pauvre Bwork s'en alla sans demander son reste, l'air déçu, tandis que l'autre examina la cargaison en silence, comptant les tonneaux et griffonnant quelque chose sur une tablette. Finalement, il s'adressa à Shanigami :

« Twa devouar hetre fatiguai apré dure voillage. Prendonc pitit apairo avek mwâ. On va s'okupé de bouftou atwâ. Gobroptkine ! appela-t-il. Vienla ! Okupe-twâ de bouftou à ainvité. »

Un petit gobelin sortit de l'ombre, marmonnant quelque chose pour lui-même que Shanigami ne comprit pas. Il détacha le bouftou et le conduisit par la longe jusque derrière la grange, en passant par la porte que l'Osamodas avait remarqué un peu plus tôt. Pendant ce temps, le gros Bwork prit un tonneau sur le charriot et le posa à côté d'une table où il s'assit, faisant signe à Shanigami de prendre place en face et disposant deux chopes devant lui.

Le Bwork avala une grande goulée de bière et soupira, l'air satisfait. Il approcha ensuite sa tête de Shanigami et dit, à voix basse :

« Faurez pas hetre si vide ke sa. Mé pabon parler ça maintenent, ajouta-t-il à voix haute, en se redressant sur son tabouret. Pour répondre à twa kestion, nous avouar bokoup à tapé ! Plain paix-hizans à piyer et nous devenir ben gras et riches-riches ! Ça très beaune idée à Bwaader venir issi. Lui fortishe et très malin, fit-il sur le ton des choses entendues. Mé assé parlé de nouzôtes. Kwâ twa apporter nouvailes de pays à nous ? »

Il remplit à nouveau les deux chopes de bière. Shanigami, effectivement, ne devait pas tarder. Il devait bien s'être écoulé une demi-heure depuis qu'il avait bu la potion.

Le Bwork remercia Shanigami et but une grande gorgée de bière.

« Mwâ patoutafé komprendre où twâ vouloar venir. Bwaader hetre bon chef et mwâ kontent servir lui. Mé nouzôtes pas travayer seuls, sivré. Il approcha sa tête de Shanigami et ajouta, sur le ton de la confidence : Pasavouâr ki mé ké'kin deauner plein piaices à nous pour nous piyer marchands. Nouzôtes ben kurieux savoâr ki esse mé diton cé un Poblanche. Seul Bwaader savoâr ezaktement. Lui garder tout traisor den koffre à lui et deauner partie à nous. Nous hetre ben gras et avoâr plein or ! Ça hetre sakrémen bon dile de nous péyé pour nous piyer. Ça double bénéfiskes pour nouzôtes. Poblanches hetre vrémen daibiles : eux payer nous pour nous piyer eux ! fit-il en riant. »

Le dénommé Gobroptkine revint sur ces entrefaites, toujours en marmonnant pour lui-même. Le gros Bwork se leva et déclara :

« Bon ! Mwâ avoar travail. Disolé pa pouvoâr raisté plus avek twâ. Kan twâ partir ? Si vouloâr domir isssi, dimwâ et mwâ deauner twâ koin pour roux-piller. »

Il se tourna ensuite vers le Gobelin et ordonna :

« Gobroptkine, ranje lé tonneaux.
— Oui, maître, répondit ce dernier sans réellement interrompre les éternels conciliabules qu'il tenait avec lui-même. Comme le Bwork vit que Shanigami se levait pour aider le Gobelin, il fit :
— Twâ patembété. Lui hetre Gobelin tré fortiche et ben dossile. Nessepa Gobroptkine ? »

Celui-ci répondit par un identique « Oui, maître » monocorde. Le Bwork quitta la grange par la porte principale en saluant Shanigami. L'Osamodas était donc seul avec le Gobelin, qui déchargeait les tonneaux un à un avec une étonnante aisance. Peut-être parce qu'il se sentait seul, il se permit de ronchonner à voix un peu plus haute. Shanigami put se rendre compte qu'il répétait en fait une sorte de litanie en boucle :

« Povertes méchantes-méchantes. Nous devoâr raivolter. Moâ retrouver Marx et goblétaires unir contre méchants Bworks. Gobroptkine paresté exlave a Povertes lontant. »

Peut-être le disciple du Coeur avait-il déjà eu l'occasion d'entendre parler d'un Gobelin dénommé Marx, et qui travaillait avec l'enseigne du Trèfle...

Le gobelin fronça les sourcils et semblait réfléchir intensément à la proposition de Shanigami. Finalement, il lui semblait — confusément — que le raisonnement faisait sens. Il était néanmoins méfiant et perplexe.

« Ki twâ hetre, dabore ? répondit-il, sur la défensive. Gobroptkine pa savoâr, t'fasson. Povertes riain dire et Gobroptkine riain an tendre. Pas devoâr. Juste obéir et chut-chut.»

Puis il hésita. Il se souvint que les Bworks étaient querelleurs et qu'ils se combattaient souvent les uns les autres. Après tout, peut-être tenait-il là sa chance. Dans l'état où il était, qu'avait-il à perdre ? Il lui fallait simplement des garanties.

« Mé Gobroptkine savoâr kek'chose kant à piépiéces du méshant gros Bwork... Gobroptkine pitetre pouvoâr dire. Mé kwâ twâ faire pour povre Gobroptkine issi praisent si Gobroptkine aider twâ ? »

Le gobelin hocha lentement la tête d'un air d'approbation tout en continuant à regarder Shanigami d'un air méfiant. Puis, se frottant le menton, il resta un instant silencieux, à réfléchir.

« Moâ pa savoâr qui Poblanche est, fit-il finalement, remuant la tête de droite à gauche. Mais Gobroptkine devoâr passer balai à crèche à Bwaader parfoâ. Lui remarqué un jour que Bwaader partir avec pitit papier dans grokoffre et lui revenir plus yeures jours plus tard avec grosse boubourse pleine de piépiéces, expliqua-t-il avec force gestes. Bwaader avoâr plein papiers dans crèche à lui. Mais Gobroptkine pa savoâr lire, lui pa savoâr kwâ hetre en konsékence. Pitetre gentil Pôverte pouvoâr apprendre plein choses dans crèche à Bwaader et Gobroptkine lui montrer où ça est. Mais plein méchants Bworks avoâr œil vigilent et grobras et garder crèche à Bwaader jourénuit. Gentil Pôverte devoâr être fut-fut mais gentil Gobroptkine pouvoâr aider lui. Crèche à Bwaader ça être grosse barak dehors. »

Lorsque le gobelin présenta la proposition aux gardes, leur chef répondit :

« Ki twâ dire ça ? Nous avoâr ordres. Rester issi. Et paboâr bibine sans permission à Bwaader.

— Ça être marchand Kronopost dire ça. Lui avoâr tono entro paréreur pas vouloâr rentrer avek, improvisa-t-il en hâte, car vouloâr être léger. Lui gentil Kronopost donner alors à vous. »

Le Bwork fronça les sourcils, l'air suspicieux. En même temps, son regard trahissait la tentation à mesure que la promesse du réconfort de la délicieuse boisson se faisait jour dans son esprit.

« Bon, si toâ dire kraks à nous, nous krakrak pitit kou à toâ, fit-il avec un sourire cruel. Mais nous boâr ici. Bwarkentoâne, Bwarkôrel, vous ramener bibine ! zou ! »

Les intéressés entrèrent dans la grange où était resté Shanigami. Ils le saluèrent et, sur un bref « Nous prendre bibine vous jantiment kado à nous », emportèrent le tonneau restant et l'installèrent au poste de garde. Là, les six gardes l'ouvrirent et dégustèrent avec force soupirs de joie la bière qui scintillait dans la clarté du matin. Or, la rumeur se répandit dans le camp et les deux bworks qui déjeunaient devant leur tente plus trois autres qui sortaient de la leur rejoignirent les gardes pour tenter d'avoir leur part. La poudre était trop diluée pour endormir les Bworks. Néanmoins, ils ne tarderaient pas à se sentir une envie de s'étendre et de se reposer tranquillement, comme après un bon repas bien arrosé...

Les Bworks étaient somnolents mais pas endormis : il n'y avait pas assez de somnifère pour cela. Au moment où il entrait, une main saisit brutalement l'épaule de Shanigami.

« Où twâ aller comme ça ? grogna un Bwork derrière lui. »

Gobroptkine était cependant parvenu à rentrer sans se faire remarquer. Il se cacha dans l'ombre, attentif à ce qui allait se passer.

Le Bwork regarda scrupuleusement le visage de Shanigami, l'air menaçant. Évidemment, il ne reconnaissait pas l'un de ses hommes.

« Moâ pas connaître toâ. Toâ raconter gros kraks. Va-t'en avant moâ être colère. Ouste ! »

D'un geste brusque il dégagea l'agent du Cœur du seuil de la porte et prit place devant celle-ci pour lui barrer la route.