En quête d'une Main tendue.

Il me répétait constamment que le Monde appartenait aux lèves-tôt. Malgré ses deux graines de Pavot dans la tête, je suis contente d'avoir pris cette habitude. J'attribue la grasse matinée aux peu ambitieux. Bien entendu, mon père n'a jamais eu pour projet de conquérir le Monde et je devine avec le recul que cette belle énergie matinale était principalement employée à fuir ma mère avant son réveil.

Un coup d’œil sur la fenêtre à ma gauche : Le soleil se lève tout doucement, paresseux lui aussi. Au premier plan, le carreau me renvoie mon reflet et je retiens une grimace face à l'image de cette femme aux allures de paumée. À cette heure-ci je devrais être chez moi à jubiler devant mon carnet de compte mais au lieu de ça, je suis attablée à la Taverne du Lépreux Chauve, une pinte de brune entamée à la main.

Pas très classe …

Je me rassure comme je peux : Quelle bonne mine, mon teint de poupée reste impeccable au mépris d'une nuit de piètre qualité. Un long soupir, puis je reporte mon attention sur les quelques parchemins mal orthographiés étalés sur ma table.

Ces derniers jours avaient été rythmés par une course aux informations effrénée et les résultats ne valaient pas une miche de pain. Merci d'avoir complété le lai du Maraudeur, imbécile, c'est exactement ce qu'il me fallait pour concrètement avancer.

Ma langue claque contre mon palais et je parcours des yeux ce ramassis de rumeurs agrémentées de faux témoignages sordides. Je soupçonne mes hommes d'en être les auteurs tant c'est pathétique. Est-ce qu'ils pensaient être payés pour ça ? Belle perte de temps.


La Taverne est si tranquille en journée, c'est une bénédiction. Il y a bien parfois Kaleilah et je dois avouer que j'apprécie sa compagnie discrète. Même si je suppose qu'elle ne l'a pas remarqué, ça. Le comptoir est vide mais je sais que le spectre se tient à son poste et quoi de plus beau qu'un salarié mort et loyal ? L'étage … Privé. J'ai pourtant vu des personnes monter et descendre pour ensuite se changer en clients lambda. Il paraît que ce sont des proches du patron. Moi je dis qu'il y a de la prostitution là-haut et que le patron en question a trouvé de quoi rentabiliser son établissement trop vide. Une bonne idée.

Puis la porte s'ouvre et me voilà arrachée à mes pensées. Je m'arme à l'avance d'un magnifique sourire avant de déchanter net en apercevant Kiosh. Mes lèvres s'affaissent, je roule des yeux.

- Te voilà... Crâ sait que je te cherche depuis hier. Ta baraque a brûlé Yenepha et tu ne m'as pas laissé la moindre note par Phénix, qu'est-ce que tu fiches ? C'est quoi ça ?

Il s'approche, je rassemble mes papiers en un petit tas et d'un regard plus noir que l'obsidienne, je le cloue sur place.

- J'ai eu des ennuis, que veux-tu ?

- La livraison de grenats a été annulée, Edith a refusé de traiter avec moi en ton absence. Il a même pris ça pour une insulte et un manque de considération de ta part...

- Je le contacterai plus tard.

Il s'assied finalement et mon sang s'échauffe déjà.

- Il veut te voir en personne, quand est-ce que tu rentres ? Tu crois qu'on m'a rien dit, c'est quoi cette histoire de Main du Valet Noir ?

- Rien, je traque des rumeurs pour un éventuel futur commerce en attendant que les choses se tassent à Brâkmar.

- Le seul véritable commerce qui devrait t'intéresser c'est le tien Yenepha et non des conneries de rum- ...

Ma main se faufile sous sa capuche et j'empoigne une belle touffe de ses cheveux avant d'applatir son visage contre la table. Je ne lâche pas prise, écrase son nez contre le bois et je sens ma lèvre inférieure trembler sous le coup de la fureur. Je me penche sur lui, crispée :

- Il n'a jamais été question d'une relation amicale entre nous deux Kiosh … Est-ce que je dois te rappeler les circonstances de notre collaboration, le contexte, les règles établies et le traitement que je réserve à ceux qui s'offrent le luxe de juger de mes décisions ?

Je le relâche sans douceur et il se redresse. Je sais pertinemment qu'à cet instant il me déteste et que si son âme pouvait s'échapper de son corps, afin de se soustraire à la peur et à la méfiance qui lui ordonnent de faire silence... Eh bien, il m'étriperait, très certainement.

La seule vraie question à se poser est la suivante : Qui de nous deux serait assez fou pour réagir à l'extrême sans prendre en considération les conséquences ? Kiosh a la réponse, il baisse les yeux.

Un silence pénible s'installe entre nous, j'ai l'impressions que Xelor cherche à m'accabler au travers des secondes qui s'écoulent. Mon acolyte finit par se lever, direction la porte de sortie.

Je me lève d'un bon et hurle comme une furie :

- ET ne crois pas que je ne contrôle plus la SITUATION ! !

Et me voilà de nouveau seule, enfin je crois...

Fraîche et dispose, j'enfile à la va-vite un justaucorps satiné et un pantalon tout confort avant de descendre. J'embrasse ma cliente sur les deux joues, sans oublier de lui réitérer mes remerciements. Mon bagage sur le dos avec mes affaires, lourd ... je songe à mon Havre-Sac resté à la Planque. Je ferai envoyer un message à Kiosh par Phénix pour qu'il se charge de me le récupérer.

Aussi, je compte bien demain soir passer à la Cité. En admettant que je parvienne à me faire discrète, il serait bon de reprendre contact avec mes gars. J'ai des bijoux et du matériel à transiter. Avec quelques aménagements, je pourrais reprendre le travail à l'ombre de mon Havre-Sac.

Avant tout chose il me faut honorer mes dires, j'ai un fantôme à saluer. Je pousse la porte de la Taverne du Lépreux Chauve et m'installe au comptoir.

- Une Guy Nasse s'il vous plait.