[Quête Majeure] Affaire brûlante à Brâkmar — Chez Kino

La phalange diplomatique de la Main était constituée de Kalirr, Scriabine, Varjo, Lessa, Ambre, Kucci et Thomas. Tous et toutes n’avaient pas le même degré d’expérience, ni les mêmes domaines de compétences, néanmoins Scriabine et Kalirr avaient jugé bon de constituer pareille équipe pour faire face aux Bras-Sœur, véritable nœud du problème.

Après le déphasage lié à la foudroyante potion d’Emyn, la troupe se repéra parmi les bâtiments maussades de la cité sombre, et prit la direction de la Taverne de Kino, lieu historique de l’implantation de la Main ici-bas.

L’endroit était curieusement aménagé : il était nécessaire de passer par une cour intérieure — dotée d’une poignée de malpropres — avant d’emprunter un escalier en colimaçon qui s’enfonçait dans les entrailles de Brâkmar. L’intérieur était plus amène que la plupart des établissements de la cité sombre, quelques boiseries de tous styles et de tous âges venaient curieusement égayer les murs pierreux suintant le salpêtre. Çà et là, quelques planches éclatées dénudaient le sol et révélaient une terre noire qui contribuait au cachet olfactif du lieu. Une des rares tavernes qui ne sentait ni la pisse ni le sang frais. Non, ici les effluves étaient davantage fongiques et minéraux.

Le comptoir était adossé contre la longueur du mur de gauche, et terminé par trois gros fûts dont le nectar gouttait négligemment sur le plancher pourri. À l’autre extrémité, des étagères disposées à la va-vite supportaient de multiples bouteilles, aux formes aussi variées que leurs teintes étaient exotiques et poussiéreuses. Le seul objet d’art de cette cave séculaire consistait en une esquisse représentant une sorte de faciès porcin - semblable en tout point à celui de Kino, posée contre le mur derrière le comptoir, à côté d’une kyrielle de fioles. Les étiquettes ne représentaient pas des mots, mais plutôt de grossières illustrations de fruits et… d’autres choses qu’il était difficile de discerner.

De longues tables, toutes parallèles, se dressaient depuis le mur opposé au comptoir, jusqu’à ce dernier, laissant un espace raisonnable pour circuler, et permettre à quelques badauds d'avoir le privilège de s’asseoir sur de hauts tabourets. La lumière peinait à se frayer un chemin dans la salle entière, puisque cette dernière n'était éclairée, en tout et pour tout, que par quatre jeux de bougies : un à l’entrée, deux au comptoir, et un dernier dans le fond de la pièce. Il y avait un certain sens de l’économie dans cette disposition.

Des clients, il n’y en avait guère ce matin, et pourtant sur la table centrale, Jules Pilère, le Grand-Maître des Bras-Sœurs, tout basané qu’il était, dégustait une grande chope de bière brune. Ou bien était-ce la chope qui le dégustait ? Son air était tantôt tendu, tantôt perdu. Kino, quant à lui, était inhabituellement assis à la table, mais tout au bout, près du comptoir, en cas d’irruption d’un client. Le porcidé-tenancier jouait seul aux cartes, et semblait lui-même ne pas comprendre les tenants et aboutissants de sa partie.

Enfin, une tête inconnue était sise entre Kino et Jules. Cheveux noirs comme le basalte volcanique, et corpulence d’homme des champs. Le regard était plus doux que méchant, mais… cela allait-il durer ?
La délégation du Valet Noir se déversa donc dans l’étroite pièce, découvrant les lieux pour certains, les redécouvrant pour d’autres. Jules se leva aussitôt, comme pris d’une colique foudroyante. Il inclina la tête et lâcha un discret « Bonjour ». Kino couina, comprenant que sa partie allait rapidement devoir se conclure. L’inconnu fit un signe de main amical, en invitant les arrivants à s’asseoir à table.

« Voilà l’eud’cortège. Qu’est-ce qui vô frai plaisir po’r la glougloutte ? »

Kino ramassa ses cartes, non sans mal, et repris sa place derrière le comptoir, attendant manifestement qu’on lui envoie des commandes.

« Alors qu’est qu’y j’ai moua… ben dans l’eud binouze n’a la Grebs du chef qui m’a filé le tonneau ce matin, une brune qui picore, n’a aussi l’eud bière volcan, une rousse épicée. ‘Termes d’aut’ choses n’a du vin rouge, noir, blanc, gris, jaune, rose, ce qu’eud veux ! Pour le plus brutal n’a bien un fond d’absinthe, du ‘col Blanc, et d’la Morora. À vous d’m’dire. »

Les membres de la Main se regardèrent, certains l’eau à la bouche, d’autre curieux, d’autres encore inquiets.

 

Varjo était déjà venu plusieurs fois à Brâkmar pour certaines missions que la Main lui avait confiées, notamment lors de son infiltration à l'Acratophore, un club de littérature, ou encore lorsqu'il avait dû convaincre les Bras-Sœurs d'élire à leur tête Jules Pillère. Cependant, c'était la première fois que l'agent du Cœur se rendait chez Kino et il prit donc le temps de découvrir la taverne en observant le décor, les boissons servies ainsi que les personnes attablées. C'est là qu'il reconnut le chef des Bras-Sœurs, qu'il salua d'un geste de la main, avant de porter son regard sur Kino pour commander à boire :

"Une rousse épicée, s'il-vous-plaît !"

Sa phrase achevée, Varjo alla s'asseoir à la table centrale, en face de Jules.

Scriabine avait pénétré dans la taverne comme un bouftou dans un abattoir : avec peu d'entrain.

Puisqu'elle n'avait jamais rencontré en personne les différents interlocuteurs, elle préféra adopter une posture d'observatrice. Attendant le bon moment pour user des ses atouts dans la conversation. À cet effet, elle prit place à côté de l'homme aux cheveux noirs, ne se laissant pas impressionner par sa carrure.

Concernant la demande de Kino, Scriabine n'avait aucunement l'intention de poser ses lèvres sur un des verres crasseux de la taverne. Elle l'ignora donc tout bonnement.

Elle se contenta de saluer les deux hommes d'une voix faible et douce : « Bonjour Messieurs... ».

Après avoir salué Scriabine qui venait d'arriver, Varjo prit la parole pour répondre à son interlocuteur :

"Nous sommes venus ici car nous avons envoyé des chargements d'alcool, mais il semblerait qu'ils ne soient pas parvenus à entrer dans la cité. Nous avons alors tenté de contacter les Bras-Sœurs, mais ceux-ci n'ont pas répondu à l'appel, ce qui nous inquiète. C'est donc pour cette raison que nous vous avons convoqués à cette table, car nous pensons que vous pourriez nous apporter quelques éclaircissements sur la situation à Brâkmar."

Voilà qu’on m’envoie en mission avec une poignée d’autres doigts. Je vais enfin pouvoir me rendre utile. C’est ce que je me disais au début. Mon enthousiasme à cependant été avorté à l’annonce du lieux où allait se dérouler la mission : Brakmar.
Le fait que cette ville soit le berceau d’une quantité non négligeable de crimes variés ne me dérange pas vraiment. Ce qui me dérange, c’est sa pestilence. Ce lieu te crache au visage son odeur nauséabonde. Sans parler des prix faramineux des enseignes de la ville ou des taxes qui viendraient ruiner jusqu’au dieu Enutrof.

Mes compagnons n’ont cependant pas l’air d’être convaincus par ma joie de vivre débordante. Je vais juste me contenter de les suivre sans dire un mot.

Alors que les trois individus étaient partis s'entretenir en privé, Varjo était en train de manger un rabmarac au citron, l'air pensif. Lorsqu'il eût terminé sa friandise, il sortit de son silence et déclara :

"Je me demande bien si ces cas de maladies dues à la consommation de notre absinthe sont véridiques ou s'il ne s'agit que d'un prétexte supplémentaire pour nous justifier l'arrêt des importations. Dans tous les cas, il va falloir trouver comment les convaincre de continuer à collaborer avec nous !"

Après un bref temps de réflexion, il continua :

"Peut-être devrions-nous diminuer le prix de l'absinthe pour qu'il soit plus compétitif ? Ou bien proposer à la place une boisson innovante qui n'ait pas de substitut ? A moins que vous n'ayez une autre idée ?"

Varjo approuva la proposition de Kucci :

"Bonne idée, je tenterai d'occuper les deux autres, dans ce cas ! Je trouverai quelque chose pour attirer leur attention !"

Varjo alla rejoindre Grobut et Kino au milieu de la salle puis leur déclara :

"Très bien, maintenant que cette entrevue est terminée, que diriez-vous de vous détendre autour d'un verre et d'un jeu de cartes ? J'en ai justement un sur moi ! Ça sera l'occasion de mieux se connaître et d'apprendre quelques anecdotes amusantes sur cette taverne et ses habitués !"

L'agent du Cœur sortit alors un jeu de cartes de sa poche qu'il brandit devant les deux hommes, le visage souriant.