[Quête Majeure] Affaire brûlante à Brâkmar — Dans les égouts

Bien rapidement, les Doigts mués en égoutiers avaient obliqué vers l’Est, direction les murailles et leurs canalisations.

La mer leur faisait face et le soleil venait de dépasser l'horizon, embrasant l'océan. L'air sentit l'iode et les embruns jusqu’à ce qu’ils parviennent à proximité du double déversoir qui avait, en son temps, permit à Instylena de pénétrer sous la croûte puante de Brâkmar dans le but d’en exploiter le substantifique ichor.

A l’époque, l’agent du Trèfle voyait. Ce n’était désormais plus le cas. Son odorat, en revanche, ne laissa guère de place au doute : l’odeur fétide était reconnaissable entre mille.

A l’époque, toujours, l’agent du Trèfle était seule. Ce n’était, cette fois-ci, toujours plus le cas. Si une silhouette esseulée versée dans la discrétion pouvait passer inaperçue, de nuit, c’était loin d’être facile à huit. Et encore moins au petit matin.

Les murailles de la ville étaient ce qu’elles étaient : des fortifications surveillées sur lesquelles quelques gardes patrouillaient par groupes de six, grappes de pupuces sur l’échine du chienchien galeux qu'était Brâkmar.

Les Doigts n’auraient pas été des Doigts si leur présence avait été remarquée. Etalés le long des remparts séculaires, ils se tenaient à l’affût, qui au-dessus du double déversoir, qui plaqué contre les créneaux, le vent marin jouant dans leurs cheveux.

Une dizaine de toises plus bas, leur avait expliqué l’aveugle adoratrice de la Déesse des Compresses, s’ouvraient deux immenses canalisations qui déversaient, dans un grondement terrible, leur contenu semi-liquide tout droit dans la mer.

L’odeur serait encore plus infâme en bas – tous verdirent à cette idée – et l’eau se mouvrait à gros bouillons. Certains des Doigts, s’ils épiaient le fluide qui se déversait à gros bouillons, auraient peut-être la chance ou le malheur d’apercevoir quelques fugaces mouvements d’origine animale dans l’écume marron. La porteuse de la Canne de Blanche avait frissonné à l’évocation ce souvenir.

Elle leur avait présenté ses excuses et les avait enjoints à ne pas songer à ce qu’ils aurait pu rencontrer au fond de l’eau – faute de meilleure appellation – s’ils venaient à y plonger – ou s’y enfoncer au vu de la texture qui était celle de la mixture.

Chaque canalisation mesurerait près de six coudées de diamètre et serait obstruée par une lourde grille scellée dont les barreaux avaient pour buts de prévenir des invasions et de retenir les déchets les plus volumineux, ne laissant filer – filtre aussi nauséabond qu’imparfait – que les plus petits reliquats de la civilisation brâkmarienne. Le maillage, résistant, ne pourrait guère laisser passer davantage qu'un enfant chétif.

Inoxydable, l’acier humide luirait – Instylena soupira en employant ce terme – et leur barrerait le chemin, mais elle leur montrerait la voie, les rassura-t-elle. Sa Voie.

Du haut de leur perchoir, les Doigts distinguèrent la majorité des éléments qui leur avaient été décrits.
Les canalisations étaient toujours là. Ce qu’elles déversaient aussi. Certains crurent même apercevoir les grilles.

Mais jamais il n’avait été question des deux gardes qui flanquaient les énormes tuyaux d’évacuation.

Le souvenir des égouts répugna Olgah. Elle poussa un petit soupir en entendant son nom. Si sa première visite chez les kha’tri l’avait dégouté, elle n’avait jamais pensé devoir y retourner, ne serait-ce qu’une seconde. Elle allait devoir prendre sur elle pour supporter l’odeur nauséabonde des dessous de Brâkmar.

 « Aphrodiane et Simettra, préparez une flèche au cas où ça tourne mal. Toi tu prends le type à droite, toi celui à gauche. Olgah, essaye de ne pas te mettre entre nous et eux... »

Le sept de trèfle acquiesça. Elle observa les deux gardes pendant quelques secondes avant de commencer à se mouvoir. Elle resta baissée sur la totalité de sa descente pour ne pas attirer le regard des miliciens sur les autres doigts.
Arrivée en bas, elle fît un détour pour ne pas se retrouver directement  nez à nez avec les deux hommes. Elle traversa une ruelle qui sentait l’urine et se retrouva directement en face des deux hommes.
Elle les interpella : « Bonjour messieurs, qu’est ce que vous faites ici à cette heure là ? Vous ne devriez pas protéger notre cité des assauts de Bonta ? » elle montra les égouts  « Vu l’odeur de ces trucs là, je vous assure qu’ils n’y passeront pas ! »
Pendant qu’elle parlait, la violoniste se déplaçait pour laisser le champ libre aux deux archères.

A l’arrivée d’Olgah, les plantons s’étaient redressés, sur le qui-vive, et avaient resserré leur prise sur leurs longues hallebardes barbelées.

Le plus proche, un individu massif et basané, au bouc huilé, fronça les sourcils et arrêta l’intruse d’une main gantée d’un cuir épais et abîmé. L’homme renifla, bomba le torse et s’exprima d’une voix claire :

« ‘faut pas rester là. C’est dangereux. Le coin grouille de vermine. »

Son camarade à la musculature plus sèche, qui s’était rangé à son côté, fixa suspicieusement l’agent du Trèfle, une lueur malsaine dans le regard.

« Les bons à rien ne risqueraient jamais quelque chose d’aussi stupide… A la place, ils enverraient plutôt des espions. Des espions suffisamment idiots pour saluer deux officiers brâkmariens à la bontarienne. »

D’un mouvement de sa tête casquée, le garde désigna leur interlocutrice à son comparse, et, dans un seul et même mouvement, tous deux pointèrent leurs armes sur Olgah — l'une en direction de sa tête, l'autre vers sa poitrine — à la grande surprise de cette dernière.

« A Brâkmar, on dit « maljour ». » ricana-t-il sournoisement.

Olgah leva les bras, elle fût surprise par une telle animosité. Elle espérait que ses confrères étaient en mesure de la protéger. Mais en attendant elle allait essayer de gagner du temps. Avoir deux cadavres sur le dos, et des miliciens en plus, ça ne les arrangeraient pas beaucoup.

Elle fît alors un grand sourire et reprit une voix agréable en disant :
« Ah, je suis démasquée, bravo ! Vous êtes perspicaces! Par contre, je ne suis pas bonne à rien ! Je viens d’Amakna. Je suis musicienne, je joue au Chevalier Vert ce soir. C’est une taverne qui se trouve au quartier des alchimistes. Je me balade juste en attendant. »
Elle s’arrêta quelques secondes pour reprendre avec un ton mielleux : « Et comme j’ai vu deux beaux gaillards attendre devant un endroit si pestilentiel, je me suis dit que j’allais venir vous parler ! Je me suis dit que vous vous ennuyiez. Vous pourriez peut-être venir me voir jouer ce soir d’ailleurs ! »

Le plus corpulent des deux hommes — celui avec un bouc — hésita, abaissant quelque peu son arme, et regarda en coin son acolyte.

Celui-ci fit une moue peu flatteuse et ce fut au moment auquel il s'apprêtait à ouvrir la bouche pour répondre au Sept de Trèfle que...

La jeune Crâ était restés depuis le début de la mission dans un silence digne d'elle même. La descente dans le cloaque de cette cité fut plus facile que pour ses compères, celle-ci se protégeant des odeurs pestilentielles grâce aux foulard qu'elle portait toujours.

« Aphrodiane et Simettra, préparez une flèche au cas où ça tourne mal. Toi tu prends le type à droite, toi celui à gauche. Olgah, essaye de ne pas te mettre entre nous et eux... »

La jeune pique sortis sont arc d'une rapidité déconcertante et banda une flèche tout aussi rapidement. Elle avait pris soin, malgré sa vitesse, de choisir une flèche de glace, celle-ci pouvant immobiliser un des deux gardes pendant qu'Olgah les plongerais dans une douce torpeur. Simettra mis donc en joug le plus costaud des deux, car c'est celui-ci qui poserait potentiellement le plus de mal à la sept de trèfle.
Elle observa la conversation d'Olgah, son arc toujours chargé en direction de l'homme au bouc. Elle se rendit vite compte qu'Olgah semblait être en mauvaise posture, mais ne pouvait le confirmer, la conversation restant inaudible depuis sa position. Elle s'adressa donc à Emyn attendant un ordre précis :

« Dois-je tirer ? »

L’oeil mauvais, le plus petit des deux gardes s’apprêtait à ouvrir la bouche pour répondre au Sept de Trèfle et ce fut ce moment que les deux archères sises en surplomb choisirent pour décocher deux traits d’une précision aussi froide que chirurgicale.

Le milicien au bouc fut atteint par la flèche ensorcelée de Simettra à la tête. Une épaisse gangue de glace recouvrit son visage avec célérité, tandis qu’il était propulsé au sol sous la force de l’impact.

Le projectile d’Aphrodiane, lui, se voulut plus classique. Il pénétra l’orbite gauche du second brâkmarien, perforant la paroi osseuse et dévastant le cerveau qui se trouvait sur son chemin. La mort du garde fut instantanée.

La voie désormais dégagée, la petite équipe rejoignit Olgah et les cadavres — privé d’oxygène, le premier milicien avait suffoqué jusqu’à ce que mort s’ensuive — qui furent expédiés dans le bouillon brunâtre et malodorant.

Les corps, lestés par les pièces d’armure, coulèrent à pic. Les plus observateurs aperçurent quelques  ailerons — à moins qu’il ne soit agi de queues écailleuses — dans les innombrables remous.

A défaut d’être libre, la voie n’était désormais plus surveillée.

L'équipée descendit rejoindre Olgah, à peine remise de ses émotions, dans la canalisation nauséabonde.

« C'était déjà là ça, quand t'es venue ici, Insty ? fit Emyn, devant la grille. Quelqu'un a une idée de comment on pourrait passer ? »

Afin de parvenir jusqu'ici, l'aveugle avait accroché sa canne dans son dos, et s'était surtout reposée sur ses compagnons pour la guider - les hurlements de Braillard n'auraient pas été discrets. Passant la main sur les épais barreaux, Instylena répondit.

Déjà là, et aussi sales. Cette fois encore je peux passer entre, mais pour d'autres, cela risque d'être compliqué... Je m'étais disloqué une épaule pour réussir à passer, et vous n'êtes pas tous aussi fins. Au moins, cette fois, nous avons le luxe de réfléchir au sec, j'avais du remonter mon grappin dans l'eau !

Après avoir examinés encore quelques barreaux, elle tourna la tête vers le groupe.

Dis moi, Petit Roi, tu n'aurais pas un acide de ta confection ? En en mettant stratégiquement, on devrait pouvoir agrandir un passage.

Insty haussa les épaules en secouant la tête.

Je ne suis venue que peu de fois, quand j'y voyais encore, et j'avais laissé de très faible marques sur les murs, qui indiquaient la sortie... Il nous faut trouver un rat, pour connaître la bonne direction.

Pointant vers les petits bruits, un petit sourire s'étira sur ses lèvres.

Et ça, normalement, c'en est.

Olgah se bouchait le nez depuis qu’ils étaient entrés dans les profondeurs de la cité de Rushu. Elle regarda la direction que l’aveugle indiquait avant de dire avec une voix nasillarde ridicule :  « Tu as pris la flûte Emyn ? Ça pourrait nous être utile ici. »

L’interrogé répondit par la négative : le précieux instrument était resté aux mains du Valet Noir et, dans la précipitation, le Roi de Coeur n’avait pas songé au fait que la flûte aurait pu leur être utile.

Le petit groupe progressa en direction des lointains couinements qui avaient résonné, quelques instants plus tôt, empruntant différents tunnels aux margelles aussi humides qu’étroites.

Durant la bonne heure de marche que représenta leur avancée, les moins agiles manquèrent, à plusieurs reprises, de perdre l’équilibre et de finir dans le flot répugnant qui clapotait à moins d’une demi-toise de leurs pieds.

Des mouvements dans la pénombre les faisaient régulièrement sursauter. Les combattants étaient sur le qui-vive, les négociants dans leurs petits souliers, mais chacun gardait à l’esprit leur mission commune.

Au détour d’une galerie, l’odeur de décomposition se fit plus forte, tant et si bien qu’elle fit l’effet d’une gifle, même à celles et ceux qui avaient pu bénéficier de la potion d’atténuation olfactive d’Emyn.

Pour l’aveugle du groupe, ce fut pire encore. Instylena chancela, soutenue par Kirosane.

« Ce… n’est pas normal. »

Au bout de quelques minutes de déambulation supplémentaires, la puanteur empirant kamètre après kamètre, tous comprirent d’où provenait cette fragrance délétère.

Ils venaient de parvenir au village souterrain des Kha’Tri : un tas de débris aux dimensions impressionnantes.

Le Compagnon du Trèfle avait décrit l'endroit à ses camarades durant leur randonnée dégoûtante : le monticule constituait une sorte de rempart protégeant un amas de cahuttes bâties en matériaux divers et variés piochés dans les égouts, sans oublier quelques habitations troglodytes creusées dans la paroi.

Les effluves s'échappant de l'entrée étaient insupportables, mais ce n'était rien à côté des exhalaisons qui les attendaient à l'intérieur.

Au centre du village, les Doigts trouvèrent enfin les Kha'Tri.

Ils avaient été massacrés.

L'aveugle, bien que soulevé par l'odeur, garda son dernier repas dans son ventre, mais plus que la pestilence, c'était l'idée du massacre qui la révulsait. De vieux souvenirs de la guerre lui revenait, et quand elle parla, ce fût l'ancienne soldat qui s'exprima.

Que ceux qui peuvent bouger sans peine fouille l'endroit. Je veux savoir s'il y a le moindre survivant. Ne touchez à rien sans absolue nécessité, et appelez moi dans l'instant si vous trouvez un blessé. Si quoique ce soit vous semble louche, restez méfiants et avertissez la personne la plus proche. Ne vous écartez pas hors de portée de voix. Notez tout ce qui pourrait servir, puis revenez ici.

Les ordres avaient été dit d'une voix monocorde, comme si l'eniripsa récitait un vieux discours trop souvent répété. Sortant de sa torpeur, elle tourna la tête vers Emyn, se rendant compte qu'elle avait probablement défié son autorité.

Enfin, je veux dire... Ça pourrais être une bonne idée...

Aphrodiane qui avait l'habitude des massacres, alla inspecter quelques corps avec une extrême précaution, le plus loin possible pour éviter tout corps piégée qu'un potentiel ennemi aurait laisser pour les visiteur indésireux.

Pour le moment pas de problème, elle observe les cadavres de plus près.

- Ce n'est pas très ressent, ils sont morts il y a quelques jours, tout au plus.

Elle continua son inspection des cadavre pour savoir quelle typesse de blessure ils avaient ressue, si d'autres indices avaient était laisser par les inconnues, ou si c'était du travail de pro.

L’inspection des cadavres permit au Huit de Pique d’apprécier à sa juste valeur le travail d’orfèvre qu’avait représenté l’éradication de la tribu Kha’Tri.

Aucun des coups portés aux victimes n’avait été inutile, chaque blessure se voulait fatale et, si la mort n’avait pas été instantanée, la Camarde n’avait généralement pas plané longtemps au-dessus des agonisants.

Les Doigts partis fouiller les habitations s’aperçurent que les rares objets de « valeur » — si tant est que l’on puisse leur attribuer cette désignation — avaient été laissés sur place, intouchés.

L’ambiance était pesante, la tension palpable et le moindre bruit — un meuble déplacé, une ouverture de porte, un juron — source d’inquiétude. Quelle était la raison d’un tel charnier ?

Un cri déchira le voile de précautions dont s’étaient drapés les agents du Valet Noir : on venait de trouver un survivant.

Ne le déplacez surtout pas ! s'écria l'Eniripsa, puis, plus bas, à Shanigami : Emmène moi vite !

Une fois sur place, elle lui demanda de lui décrire la scène.

Shanigami avait accompagné le groupe de Doigts bien silencieusement. Lui qui semblait d'habitude si bavard quand il buvait au Lépreux Chauve.

En vérité, l'Osamodas songeait à ces autres compagnons, qui eux, avait eu la chance de ne pas déscendre dans ces égouts sales et sombres, mais qui au contraire étaient en route vers une sorte de taverne, au sein d'une ville qu'il connaissait assez bien. Il fréquentait les établissements de Brakmar depuis pas mal de temps, en tant qu'habitué et collectionneur d'histoires. Celles de la cité rouge étant les plus intéressantes.

Il avait dû assister à l'exécution de deux gardes, sur les murs de la cité. Décidéments, les méthodes brutales de la Main lui semblaient toujours aussi incompréhensible.
Durant sa marche dans les égouts, dont l'odeur bien que forte, ne repoussa pas l'invocateur qu'il était, habitué à certaines éfluves laissées par les créatures qu'il pouvait rencontrer. Ils parvinrent enfin au villages des Kha'Tri. Shanigami se faisait une joie de découvrir ce peuple dont il n'avait jusqu'alors que vaguement entendu parlé.
Sitôt arrivé, le paysage horrifiant d'un véritable génocide remplit son champs de vision. Outre ses compagnons archer, il y avait donc d'autres tueur dans les environs.

Il explora les lieux avec prudence en quêtes d'indices, restant tout de même à porté de la jeune Eniripsa aveugle. Il voulait éviter que celle-ci ne se blesse où ne chute sur un corps. Jusqu'à ce qu'un cri retentisse dans le silence pesant de l'ancienne ville sousterainne. Un survivant ?!

Ne le déplacer surtout pas ! cria la jeune femme.
Emmène moi vite ! lui dit-elle plus bas.

Shanigami pris la demoiselle ailée par la main, et marcha rapidement en direction de ses compagnons, déjà tous massés près de l'animal, où de la personne, il ne savait pas trop comment les qualifier.

Shanigami fit rapidement un état des lieux de ce qu'il pouvait observé et le récita presque mécaniquement à celle qu'il avait amené par la main.
Il y a un gros rat ... Entaille profonde sur le flanc, hémoragie. Il est couvert de sang et à l'odeur je dirais qu'il y a aussi une présence d'urine. Il respire mais ... c'est très faible. J'hume presque l'odeur de sa peur. Il ne va pas survivre si nous ne faisons rien, vite aidez-moi.

N'écoutant que son instinct d'Osamodas, Shanigami, disciple du dieu Dragon, ancien éleveur de tofu et invocateur pationné, se mit à genoux devant la créature agonisante, et commença vainement à déchirer des morceaux de sa cape pour couvrir les plaies.
Malgré l'interdiction qu'il jugea futile d'Instylena, il demanda de l'aide.

Nettoyez la plaie brièvement pour voir jusqu’où elle s’étend, et ensuite je veux quelqu'un presse les bords de la plaie pour la maintenir fermer, on doit le garder en vie le plus longtemps possible. Aphro, je te charge de sécuriser un périmètre autour de nous, on ne le déplace pas et je ne veux pas de mauvaises surprises. Les autres, vous la suivez, et vous faîte ce qu'elle vous dit, laissez de l'espace pour qu'il puisse respirer. Shani, tu reste avec moi, tu seras mes yeux.

L'heure n'était plus à la diplomatie, aussi Instylena n'attendit pas de voir si ses ordres étaient suivis ou non. Elle avait confiance en les capacités de sa camarade, et la savait efficace sur le terrain, et avec suffisamment de jugeote pour penser comme elle. Elle s'agenouilla auprès du rat, se dirigeant à tâtons vers sa tête.

Est-ce que tu m'entends ? dit-elle doucement au survivant.

Aphrodiane et ses camarades avaient obtempéré, se dispersant aux alentours de façon à se prémunir d'une embuscade. Ceux qui avaient perpétré ce massacre reviendraient-ils sur les lieux de leur forfait, plusieurs jours après avoir commis celui-ci ?

Dans le doute, il valait mieux s'y préparer.

Un mouvement à l'extérieur du village fit autant trembler que sourire les éclaireurs : il avaient bien fait d'obéir à l'adoratrice d'Eniripsa.


La plaie était profonde et avait abondamment saigné. Le rongeur couinait de douleur au gré des palpations de ses sauveteurs.

Sa respiration, sifflante, n’augurait rien de bon, pas plus que les rictus de douleur qui déformaient sa face de rat.

La créature délirait, confondant, dans un premier temps, les Doigts avec ses agresseurs :

« ...tié… Krrrrr ! Dikrrrai krrrien… »

Puis, dans un second temps, et sans doute sous l’effet des mots revigorants de l’adepte d’Eniripsa, le survivant s’apaisa, à défaut d’aller mieux. Chaque mouvement lui coûtait et toute respiration paraissait atrocement douloureuse. Il parvint cependant à brièvement entrouvrir les yeux, donnant l’impression de reprendre conscience.

Ses inspirations se firent moins erratiques, il se calma, mais ne s’arrêta pas de gémir pour autant.

« Krrrri... »

Son filet de voix évoquait des souvenirs à l’infirmière de terrain.

« Vous êtes krrrevenue me… sssssauver, maîkr...esse ? Vous sauvez toujours le pauvre — Krrrr ! — Ti’lad… Sauvez-m...oi… Maîkrrrresse... Sauv… Krrrr ! »

Le pauvre bougre s’arcbouta subitement pour ne plus bouger du tout. Dans la mort, le rat paraissait plus grand que de son vivant.

L'instant de stupeur passé, l'eniripsa se redressa doucement.

Il est mort.

Le calme froid avec lequel elle l'avait annoncé fît frissonner Shani.

Tu peux lâcher sa plaie, c'est inutile maintenant. Et à défaut de nous avoir donné des informations utiles de son plein gré, on en a appris un peu plus sur ce qu'il s'est passé. Ses agresseurs voulaient des informations. De plus, Ti'lad n'est pas un Kha'tri. Il est d'une autre tribu. Donc soit il s'est fait capturé avant, soit on a un plus gros problème.

L'eniripsa débitait ses pensées rapidement, plus pour se calmer que par soucis de les transmettre à Shani. Un frisson lui parcouru l'échine, et elle fouilla de ses mains tremblotantes dans son sac pour en sortir une fiole remplie d'un liquide rose, qu'elle vida d'une traite.

Il faut partir d'ici.