Simettra Adelpfi

Une nouvelle case de cochée. Cela faisait seulement trois jours que son ami était parti, et pourtant, elle le savait au fond d'elle, il était plus juste de parler en semaines qu'en jour.

"Je ferais mieux de rester seule."

Cette pensée lui avait coûté la vie, alors qu'elle n'avait que pour unique but de la lui sauver. Son absence, qu'elle savait maintenant définitive, était un poids en plus pour l'archère, qui sortait à peine d'une semaine pleine d'émotions, loin d'être joyeuse.

Se réveiller après avoir accepté sa propre mort, voir son amie ne pas s'éveiller de son coma, aller à son chevet chaque jours sans aucune amélioration, prendre la décision de retourner dans la solitude pour protéger les autres, blâmer Yenepha pour tout ses problèmes, recevoir une leçon contradictoire avec son mode de pensées tout entier, apprendre le réveil de son amie, devoir faire son deuil dans la foulée, éprouver des sentiments contraire à sa morale, mettre fin à sa relation.

Cet enchaînement d'événements dans une durée aussi courte que le fut cette éprouvante semaine avait profondément chamboulé Simettra, qui était perdue. Ses émotions se mélangeaient entre elles dans une violente tempête interne. Des questionnements s'ajoutaient à ce cocktail absurde de colère, de remord, de peur et de tristesse.
Et dans ce brouhaha émotionnelle qui la torture, une voix s'élève, familière, réconfortante.

- Salut Sim'... Ça faisait longtemps.

Une voix qu'elle reconnaît entre mille, et qu'elle est la seule à connaître.

- E-... Edain...? C'est bien toi...?

- Qui d'autres ? Je suis déjà assez à l'étroit dans ta petite caboche pour vouloir la partager avec quelqu'un.

- Pourquoi... pourquoi tu ne répondais plus...? Je voulais m'excuser tu sais... Pour tout ce que je t'ai dit, pour tout ce que je t'ai fait, pour tout ce dont je t'ai privée...

- Je sais, je partage ton esprit je te rappelle, et tu ne peux pas me bloquer ce que tu penses de moi, comme je ne peux pas te bloquer ce que je pense de toi... Et je sais aussi ce que tu t'apprête à dire, et à vouloir faire.

- Tu...

- Et je refuse.

- Quoi...? Non... tu ne peux pas... tu n'as pas le droit de me faire ça... tu ne peux pas partir aussi...

Un silence s'installe dans cette conversation solitaire. Un silence lourd de sens, portant avec lui une vérité que l'archère se refuse depuis déjà bien trop longtemps. Ce mensonge qu'elle se raconte à elle même pour ne pas sombrer, ce mensonge réconfortant et égoïste, protection rassurante d'une réalité cruelle.
Ce silence, dernier rempart fragile, finit par se briser.

- Sim'... Je suis partie depuis bien longtemps déjà..

- Tais toi...

Des larmes viennent ponctuer ses mots.

- Tu savais que ce moment finirait par arriver. Tu ne peux pas me céder le contrôle sur notre présence, tu ne peux pas disparaître au fond de ton esprit pour une longue période comme je le fais si souvent. Pour une simple raison Sim'...

- Non... Tais toi... Je ne veux pas...

- Sim'... Il est grand temps que tu acceptes cette vérité. Je n'ai jamais été dans ta tête. Tu m'as créée pour ne pas avoir à être seule. Tu n'as jamais voulu être seule. Déjà quand nous étions petites, tu venais te glisser dans mon lit pour ne pas dormir seule, tu me collais comme une véritable pupuce.

- Je ne veux pas te perdre non plus...

- Tu m'as perdu il y a plus de trois ans, presque quatre.

- Ne le dis pas... Je t'en supplie ne le dis pas...

- Je suis morte ce jour là, avec lui.

Des larmes se mettent à doucement couler le long de ses joues, exprimant son refus et son acceptation face à cette vérité.

- Si je me suis fâchée contre toi la dernière fois, c'était pour te laisser le champs libre. Tu as enfin trouvé un endroit où vivre, des gens qui tiennent à toi, qui ne veulent que ton bien et ta protection. Ne laisse pas cette chance passer pour moi. Je n'existe plus que que dans tes souvenirs, et c'est là que je dois rester.
Tu dois aller de l'avant Sim'... Aux côtés des Dieux, je veillerai sur toi, tu en as ma parole.

- M-...

- Non... ne dis rien. Ma décision est prise, et tu sais que c'est la tienne aussi. Je ne suis qu'une création de ton esprit après tout.

Je veux juste que tu me fasse une promesse en échange. Une promesse qui devra rythmer ta vie, tes choix, ta morale.

Cette promesse, je l'ai faites il y a longtemps, je te l'avais racontée souviens toi. Sur la plage, l'Homme et moi étions tout les deux, le soleil se couchant doucement à l'horizon. C'était un véritable cliché de tout les romans à l'eau de rose que tu aime tant, et maintenant c'est à ton tour.
A ton tour de reprendre le flambeau, de faire vivre cette promesse, et un jour, toi aussi tu passera ce flambeau.
Cette promesse, peux tu me la faire ?

Silencieuse, la rouquine se contente d'acquiescer.

- Tu as besoin que je te la rappelle ?

Un non de la tête précède ses mots, sa promesse.

- Moi, Simettra, jure de toujours faire ce qui est juste, sans faire preuve de cruauté ou de lâcheté, sans abandonner ni céder. Toujours, je devrais essayer de faire preuve de gentillesse, mais jamais je n'échouerai à faire preuve de bienveillance.
Cet engagement jamais je ne briserai, dans l'amitié et l'amour, dans la mort et la tristesse. Il n'est pas question de chercher à gagner, mais de faire ce qui est juste.
Cette promesse saura trouver son accomplissement dans les épreuves les plus dures et ne saura être rompus.

Sans espoir, sans témoin, sans récompense.

C'est ainsi que je prouverai ma valeur, c'est ainsi que je prouverai être digne de mon nom.

- C'est ainsi que tu rejoins les Adelpfi.

- C'est ainsi que je rejoins les Adelpfi.

Le silence regagne la pièce, le tourbillon d'émotions qui torturait la disciple de Crâ vaporisé.

- Tiens cette promesse. Ne la brise jamais. Elle sera ton guide pour ne pas te perdre.

- Et mon activité de "chasse"...? Elle est compatible avec cette promesse...?

- Je ne peux pas te répondre, mais au fond de toi tu le sais déjà.

Un silence. Elles le savent toutes les deux, ce silence est le dernier qu'elles partageront.

Il est temps pour moi de partir à présent. Merci de m'avoir fait vivre encore un peu à travers toi, désolée de t'avoir causé tant de tracas.
Je suis ravie d'avoir vécu à tes côtés, je suis ravie de t'avoir vu grandir si vite. Tu es une véritable jeune femme maintenant.

Fais attention à toi. Ne reste pas seule.

Adieu Simettra. Adieu, petite sœur.