[Quête Majeure] Intermède : Sur les traces de l'alcool blanc

La chevauchée, les marches interminables de l’escalier en colimaçon et le manque d’air l’ont poussés à bout.
Son cœur, à l’étroit sous les tissus de son épais kimono ne semble vouloir ralentir, faisant vibrer à l’unisson le cinq de trèfle dissimulé contre sa poitrine. Son regard quant à lui, distrait par les piles de documents jonchant çà et là le sol et les meubles, se perd cherchant ne serait-ce qu’un soupçon d’organisation, en vain.

Ressaisis-toi Ambre... Le vide, fais le vide.

Elle prend un temps de réflexion avant d’arriver à un soupçon de calme, se tenant droite sur la chaise à l’assise rustique qu’elle juge inconfortable à souhait.

Elle prend une grande bouffée d’air qu’elle expire silencieusement, puis s’élance enfin écourtant l’attente de ses interrogateurs.

— Il est vrai que depuis mon voyage au Saharach, ma mémoire jusque là oubliée refait surface progressivement.

Elle marque un temps d’arrêt.

— Le nom de la triade m’évoque bien des souvenirs, Mais ceux-ci remontent à quelques années maintenant. J’ ai eu vent de cette organisation quand je travaillais pour la pègre pandalienne.

Regardant le ciel sombre de javian par la fenêtre.

— La triade est bien une organisation criminelle pandalienne. Elle possède des racines implantées sur toute l’île et agit dans le plus grand secret. Mon ancien patron, le parain Colleone entretenait une aversion farouche à leur égard et ce malgré les accords établis entre nos maisons.

Elle prend un léger temps de pause, observant ses interlocuteurs.

— A l’époque, j’avais pour tâche d’assister un  négociateur du réseau contrebandier, Un lenald qui se faisait appeler Eliate. La triade était  un problème récurrent et leurs exigences étaient toujours faramineuses. Mais nous avions besoin de leur accord pour emprunter les routes à l’est.

Elle s’accorde une légère pause avant de reprendre son discours, sous le regard des têtes du cœur.

— Je ne dispose malheureusement plus de quoi que ce soit d’autre au sujet de cette organisation. De plus, mes informations datent d’il y a plus de cinq ans, je ne vous garantis donc pas la véracité de mes propos à l’heure  actuelle.

Elle regarde une énième fois par la fenêtre, espérant y trouver un peu de ciel bleu ou de quoi rendre son retour à la cité brune plus agréable.

— Cela dit j’avais une connaissance qui travaillait dans les services de renseignement de la maison Colleone, elle saura sûrement vous apporter les renseignements que vous recherchez. C’est une pandalienne du nom de Kyura Sao. Dans mes souvenirs, il s’agissait d’une femme douce mais extrêmement manipulatrice. Il nous faudra redoubler de prudence.

Scriabine venait d'étouffer un gloussement suite à la dernière remarque d'Ambre.

— Cette Kyura Sao, à quoi ressemble-t-elle ? Avoir son portrait dégrossi nous serait relativement précieux. Par ailleurs, où pensez-vous que nous pourrions la trouver ? Y a-t-il des lieux qu'elle fréquente habituellement ? Serait-elle du genre à vendre une information sans poser de question ? Ou bien est-elle de l'autre bord ?

La Dame de cœur posa un regard doux et insistant sur la victime de ses questions.

Elle observe la dame, restant silencieuse quelques instants.

Je ne vois pas ce qu’il y a d’hilarant dans mes propos...

Le gloussement étouffé avait suffit à l’agacer. Elle qui détestait par dessus tout ne pas être prise au sérieux.
Après un petit moment passé à étouffer cette aversion dans l’œuf, elle prend enfin la parole, accompagnée par le vent glacé qui vient d’un rythme irrégulier s’abattre contre la fenêtre.

— Kyura-Sao est une femme assez spéciale. Si je devais la décrire en un mot, celui-ci serait probablement bleu, des tissus qu’elle revêts aux saphirs qui la parent, cette couleur est omniprésente chez elle.
Un physique plutôt délicat et un pelage assez commun pour une pandawa. Du temps où je la connaissais elle portait ses cheveux en carré court.

Elle regarde une énième fois par la fenêtre.

Courage Ambre, l’attente n’est plus très longue... ce soir tout ira mieux.

Puis reprend.

— Elle avait pour habitude de côtoyer un fumoir fréquenté par le gratin de feudala nommé : ‘l’antre pourpre’.
Et si je me souviens bien elle aimait particulièrement le pandapiler du ‘sot l’y laisse’, une taverne de la neutre.
Les habitués la connaîtront sûrement, c’est qu’elle ne passe pas inaperçue.
Je vous met en garde, cependant, elle est toujours suivie de près ou de loin par un agent de la maison qui surveille ses arrières.
Enfin, elle a tendance à ne jamais rien donner sans attendre en retour.

Regardant la dame dans les yeux.

— C’est tout ce dont je dispose à son sujet, j’espère avoir répondu à vos attentes.

Quelques jours après.
 
Scriabine venait de terminer son paquetage lorsque Monsieur Arthur entra dans la chambre n° 6.
 
— Vous partez en voyage ?
— En effet. Et cette porte ne s’ouvrira pas tant que je ne serais pas rentrée.
— Désirez-vous…
— Non, je n’ai pas le temps.
— Soit, je veillerai à la tranquillité des lieux, comme je l’ai toujours fait, Madame.
 
Ladite Dame passa la bandoulière de sa besace sur son épaule. Elle supportait tant bien que mal la charge et grimaça en descendant l’étroit escalier en colimaçon de l’Hôtel Budavar. Personne au rez-de-chaussée. L’horloge du comptoir affichait dix heures passées. La pensionnaire déposa sa clef en laiton sur le crochet destiné à cet effet, puis quitta l’établissement.
 
Comme tant de fois, elle maugréa lorsque ses pantoufles immaculées s’enfoncèrent dans la glaise des voiries d’Astrub.
 

 

Après quelques dizaines de minutes de marche, elle parvint aux abords de la Porte Est de la cité. Le dragomaître de « L’étable de la Larve Rouge » semblait l’attendre.
 
— Éléonore, c’est bien ça ?
— C’est moi, oui. Vous avez reçu les arrhes n’est-ce pas ?
— Comme il se doit Madame, il ne vous reste plus qu’à honorer le solde du dépôt d’garantie.
 
Tandis que Scriabine alignait scrupuleusement les 50 000 kamas sur la table branlante du dragomaître, celui-ci admirait la bête qu’il mettait en location.
 
— Amandine.
— Pardon ?
— C’est son nom. Mieux vaut le retenir si vous souhaitez qu’elle vous obéisse.
— Je vois, Amandine, c’est noté.
— Il ne faut pas nous en vouloir, nous autres éleveurs manquons parfois d’originalité. Mais nous le rattrapons dans la rigueur et la qualité de nos braves bêtes.
— Le compte y est.
— Soit, bon voyage, Madame, prenez soin d’elle.
— J’y veillerai.
 
La Dame de Cœur sous couverture mit le pied à l’étrier et empoigna les rennes de l’animal. Elle n’était assurément pas une adepte de cet art, et s’en tenait aux bases nécessaires. Heureusement, cette dragodinde à la robe d’amande se laissait très facilement monter.
 
Sans plus attendre, Scriabine la fit galoper sur la route champêtre qui menait à Pandala.
 

 

Après quelques heures de course, alors que le littoral se dessinait peu à peu sur l’horizon, la cavalière bifurqua du grand chemin et s’enfonça dans un bosquet isolé.
 
— Allez Scriabine.
 
Sous ses propres encouragements, une fois descendue de sa monture, la quinquagénaire éventra sa besace sur un rocher ; quelques vêtements en sortirent. Elle commença par se défausser de ses robes, se mettant à nu devant les yeux exorbités d’Amandine. Puis, elle enfila un simple pantalon en toile de lin, complété par une tunique de la même étoffe.
 
Ainsi humblement parée, elle ouvrit son ultime instrument de torture : un petit pot de graisse de bouftou. Elle en déposa une noisette dans sa paume avant de l’appliquer sur sa délicate chevelure. L’effet fut immédiat. D’une coiffure distinguée, elle créa une tignasse négligée. Pour rompre encore davantage les apparences, elle attacha ses cheveux gras en arrière avec un vieux catogan.
 
Il demeurait une enveloppe posée sur le rocher. Elle contenait les deux cristaux ligotés dans du coton que Yenepha lui avait vendus la veille. L'un taillé en poire, l'autre plus irrégulier et allongé. Déterminée, elle les dissimula sur elle, là où on ne les trouverait pas.
 
À ce stade, elle ne s’infligea pas plus de souffrances, sachant que la route lui en réserverait d’autres. Sa précédente et riche tenue fut abandonnée sur place.
 

 

Amandine n’en pouvait plus de piétiner, avançant à peine au sein de cette queue de voyageurs qui attendaient de franchir la frontière. Sa nouvelle maîtresse était tout aussi ennuyée par les événements, mirant l’horizon embrumé qui laissait deviner les pourtours des côtes Pandalaises.
 
— Suivant !
— Messieurs les douaniers.
— Nom, prénom, motif du séjour, marchandises à déclarer.
— Lancier, Éléonore. Je viens rendre visite à un ami. Je n’ai rien à déclarer, juste mes effets personnels et ma dragodinde.
— On va voir tout ça, mettez-vous sur le côté s’il vous plaît, il y a des Pandalais qui attendent.
 
Le douanier ventripotent commença par inspecter l’attelage d’Amandine, pour ne rien y trouver. Il se rabattit sur la besace allégée de Scriabine, en sortit quelques babioles et des kamas. Visiblement insatisfait de ne rien découvrir de suspect, il s’approcha de l’étrangère et se mit à la palper avec ses énormes mains velues.
 
— S’il vous plaît, vous me chatouillez.
 
Le ton était léger, mais de nombreux scénarios de meurtre se bousculaient dans l’esprit de la Dame de Cœur.
 
— Z’allez voir un ami, c’est ça ?
— De longue date. Nous allons fêter nos retrouvailles.
— Ah bon. Et vous n’avez pas apporté de cadeau ?
 
Scriabine posa une main sur l’épaule touffue du fonctionnaire.
 
— Si, bien sûr, mais tous les cadeaux ne sont pas faits de sucre ou d’argent.
 
Elle cligna subrepticement de l’œil, dans l’espoir de rendre l’imbécile complice.
 
— Si vous l’dites.
 
Il soupesa la besace avant d’y refourrer tous les objets qu’il venait d’inspecter. Quelques kamas restèrent néanmoins dans la poche de son costume de fonction.
 
— Où habite-t-il votre Jules ?
— Dans le nord, près de Feudala.
— Dans ce cas, évitez de couper par Aerdala, ça chauffe en ce moment.
— Merci pour le conseil.
 

 

Pandala était le royaume de l’humidité. Cela rappelait à Scriabine le climat de la jungle de l’île d’Otomaï, mais sans la chaleur et sans les amis. Tout n’était qu’une succession de patelins miteux et de bambouseraies envahissantes.
 
Les affres du voyage recouvrirent petit à petit la peau de la fausse baroudeuse d’une patine de crasse. Elle sentait sur elle remonter des odeurs antiques. Elle était sale, et parfaite.
 
La souillon improvisée fit l’acquisition d’un de ces innombrables chapeaux de paille coniques que les marchands itinérants vendaient aux touristes.
 
Elle s’arrêta, à l’occasion d’une courte étape, à Pandala Neutre avant d’arriver aux portes grandiloquentes du village de Feudala. L’humidité poisseuse de l’île se transformait ici en vapeurs lourdes et sulfureuses.
 
Il ne lui fallut que peu de temps pour repérer l’enseigne évoquée par Ambre : « L’Antre Pourpre ». Elle attendit patiemment le moment propice pour aborder le petit personnel de l’établissement. Le sort désigna un jeune serveur en train de prendre sa pause. En lui tirant les vers du nez et moyennant quelques kamas, Scriabine confirma l’hypothèse selon laquelle Kyura fréquentait toujours l’endroit, et qu’elle serait probablement présente le soir même.
 
Dans sa chambre à l’auberge du village, la Dame de Cœur déballa les cristaux et les rangea précautionneusement dans l’enveloppe de Yenepha, qu’elle plaça ensuite à l’intérieur de sa poche.
 

 

Le soir venu, « Éléonore » pénétra dans le fumoir. Les habitués des lieux murmurèrent à son passage, la martelant de regards accusateurs. Elle n'était pas à sa place, étrangère et pauvre au milieu de la fine fleur du village. Elle reconnut le jeune serveur qui l’avait précédemment renseignée ; celui-ci, se sentant probablement redevable, l’installa dans un coin isolé de la pièce.

La Dame de Cœur n'eut pas de difficultés à distinguer une silhouette azurée parmi les pelages roussoyants des locaux.
 
— Désirez-vous quelque chose à boire ?
— Je prendrai ce que la dame en bleue prend habituellement.
— Il doit certainement s’agir de Pandapiler « Sot-l’y-laisse ».
— D’ailleurs, offrez-lui-en une de ma part. Dites-lui que je lui souhaite le bonsoir.
— Très bien.
 
Le garçon empocha la somme due et retourna au comptoir préparer la commande. Kyura discutait avec plusieurs autres personnes à l'autre bout de la pièce. Lorsque le serveur lui tendit sa boisson et lui glissa un mot, la cible enfonça son regard dans celui de Scriabine. Celle-ci inclina respectueusement la tête, et posa son chapeau sur le coussin à côté d’elle.
 
Ayant probablement quelques affaires à mener, la silhouette azuréenne se laissa désirer. À un moment, elle disparut derrière un rideau rouge, qui semblait faire la communication avec une autre salle. La Dame de Cœur prit son mal en patience : après tout ce chemin, il lui importait peu de devoir attendre une heure ou deux. Il n’était pas dans son intérêt de forcer le contact.
 
Finalement, au cours de la soirée, la belle bleue finit par rejoindre « Éléonore » autour de sa minuscule table basse en marbre clair.
 
— Agréable soirée, n’est-ce pas ?
 
L’amorce de Scriabine n’eut aucun écho et se dispersa dans l’air ambiant, animé par une musique nasillarde.
 
— Je m’appelle Éléonore, enchantée. Je fais quelques recherches sur votre île, et on m’a dit que vous étiez en quelque sorte un puits de connaissances. J’aurais aimé vous poser quelques questions, auriez-vous quelques minutes à m’accorder ?

Kyura-Sao venait de s’assoir à la table d’Éléonore bien vite accompagnée d’une odeur de parfum mêlée à celle du tabac froid. Elle ne répondît pas à la première remarque, qu’elle jugeait inintéressante à souhait.

Elle regarda la femme à l’aspect négligé devant elle, installée en tailleur sur le large coussin de soie.
À en juger par son regard, Scriabine n’était pas la bienvenue.

— Inutile que je me présente, vous savez déjà qui je suis semble-t-il.

Elle ne bouge pas d’un centikamètre, tendit que son regard la parcours la tête aux pieds, non sans un certain dégoût.

Que vient faire une gueuse pareille dans cette établissement? il faut que je touche deux mots au serveurs. Finissons-en vite avant que celle ci ne ternisse mon image.

— Je n’ai pas beaucoup de temps à vous accorder, alors allons droit au but voulez vous?

L’air répugné de son interlocutrice rassura Scriabine sur l’efficacité de sa couverture.
 
— Parlons peu, mais parlons bien.
 
L’usage de ce genre d’expression populaire allait contre tous les instincts raffinés de la Dame de Cœur. Mais elle avait depuis longtemps appris à se faire violence.
 
— Il y a dans votre tête quelque chose que je veux savoir.
 
Scriabine joignit le geste à la parole, et tapota son index contre sa tempe. Parallèlement, son autre main se glissa dans l’enveloppe cachée dans sa tunique afin d'attraper un cristal.
 
— Je cherche des informations sur l’organisation qui gère le trafic d’alcool blanc. Des informations simples, pas des secrets d’État. Je veux savoir comment ces gens sont perçus ici sur l’île. Quelles sont les conséquences de leurs actions ? Si vous consentez à éclairer ma lanterne, je vous dédommagerais selon vos termes.
 
La Dame de Cœur venait de saisir le cristal élongé à l’intérieur de l’enveloppe.

— Qu’en dites-vous ?

Un pandawa taillé comme une armoire et au regard peu rassurant semble les fixer depuis Le début de la conversation. Les légers signes de main qu’effectue naturellement et en toute discrétion la pandawa le tiennent à distance.

— Je suis surprise de voir que vous ayez la connaissance du message caché derrière le ‘sot-l’y-laisse’ que vous m’avez fait parvenir.
C’est assez rare qu’un inconnu sache cela et encore moins une étrangère. Ce qui m’amène à la question suivante:

Elle la regarde droit dans les yeux

— Qui vous envoie?

Après avoir entendue la réponse d’Éléonore, elle prend un léger temps d’arrêt.

— Tant que la contrepartie est intéressante, vos histoires ne m’importent peu et concernant les informations, tout dépend de ce que vous avez à offrir en échange de mon savoir.
J’aimerais m’assurer que je ne perds pas mon temps. Je pense que vous comprenez.

— Qui vous envoie?

— Ça fait partie du prix ?

— Tant que la contrepartie est intéressante, vos histoires m’importent peu et, concernant les informations, tout dépend de ce que vous avez à offrir en échange de mon savoir. J’aimerais m’assurer que je ne perds pas mon temps. Je pense que vous comprenez.

— Je... pige. Voici quelque chose qui vient de loin.

Scriabine dégaina le cristal qui attendait patiemment entre la pulpe de ses doigts. Elle le frotta un peu pour lui donner du lustre, avant de le mettre en évidence au centre de la table de marbre.

Sa forme allongée et légèrement sinusoïdale n'était pas commune, voire étrange. Néanmoins, la pierre, qui n'était pas plus longue qu'une phalange, renfermait une palette de couleurs indigo, tantôt profond tantôt brillant. Les lumières chaudes de la pièce s'y réfléchissaient en de multiples déclinaisons de pourpre.

— Si on le regarde assez longtemps, on croirait se plonger dans la voûte céleste. D'autres y voient une mer démontée, féroce, prête à avaler le monde.

Ainsi posé sur une surface claire, le cristal temporel réfractait la lumière en d'harmonieuses formes arrondies qui semblaient danser au rythme de la musique et des flammes.

La Dame de Cœur reprit son trésor entre ses doigts, dont la manucure était encore trop soignée pour paraître parfaitement négligée.

— Vous connaissez ma contrepartie. Maintenant, je voudrais être sûre que vous savez de quoi vous allez me parler. Quel est le nom de cette organisation ?

Dés lors où ses yeux se posent sur la pierre, quelque chose s’allume dans son regard, elle est captivée par l’objet.

— Je n’en attendais pas autant d’une personne à l’aspect aussi.... repoussant pour tout vous dire. Je suis très agréablement surprise.

Dommage, j’aurais bien aimé savoir pour qui elle travaillait.

Elle aborde maintenant un léger sourire en coin marqué  par quelques rides naissantes dissimulées sous son pelage. Elle met peu de temps avant de répondre aux questions de la blonde.

—  Ceux que vous cherchez sont nommés ‘la Triade Opaline’ , c’est un groupe organisé descendant d'un culte religieux pandawa. Cherchez les getas usés en Akwadala et vous remonterez jusqu'à la tête de riz. Si j’en crois vos dires,c’est l’homme qu’il vous faut.

Elle sourit, laissant son interlocutrice dans l’incompréhension.

Scriabine reposa la pierre au centre de la table.

— Getas Usées, de quoi s'agit-il ? Comment les trouver ? Et... cette tête de riz, pourquoi me serait-elle utile ?

Sa voix s'était faite plus profonde, plus franche.

Elle sourit amusée par la confusion de son interlocutrice.

— Je vous en ai déjà beaucoup dit, vous savez.

Son regard perçant lorgne la pierre au centre de la table à intervalles régulier.

Elle serait si sublime en diadème.

—  Tout ce que je peux vous dire pour le prix que vous m’offrez est qu’il vous faut d’abord trouver les getas usées pour remonter à celui qu’il vous faut.

Quoi qu’en collier elle serait du plus bel effet.... Il faut que je fasse dépêcher le vieux bijoutier au nord, j’aurai besoin de ses conseils.

— Si c’est tout ce que vous aviez à m’offrir dans ce cas il semblerait que cette conversation arrive à son terme.

Scriabine était satisfaite d'avoir touché au but avec sa monnaie d'échange. Même si les informations qu'elle venait de recevoir demeuraient relativement maigres.

— On se réserve toutes les deux pour le plat de résistance ?

Jugeant inutile d'atermoyer la discussion, la Dame de Cœur fouilla dans son enveloppe et en extirpa l'ultime cristal qui y résidait. De la même manière que pour le précédent, elle s'employa à le lustrer avant de le déposer sur le marbre blanc, mais cette fois-ci avec un peu plus de manières, comme s'il s'agissait d'une relique inestimable.

La première caractéristique de cette seconde pierre était avant tout sa taille en forme de larme. Il ne s'agissait pas d'une beauté brute, mais d'un artefact travaillé, mérité. Ses innombrables facettes renfermaient un cœur tendre et complexe. Les couleurs — plus claires que le premier cristal — n'étaient pas uniformément réparties, et cela donnait un certain cachet à la pierre.

— Voici ce qu'il advient lorsque les Dieux pleurent. Un morceau de ciel dans le creux de votre main.

Maintenant que Scriabine avait délivré, elle pointa ses oreilles en direction de Kyura.

— Dites m'en plus sur l'endroit, Akwadala.

Elle regarde les pierres et affiche un large sourire.

— Vous avez réussi à me convaincre.

Elle prend une légère pause.

— Gettas usées est le nom de code d’un messager de la triade opaline, ce nom lui viens des kilomètres qu’ils parcourt afin de livrer des messages.

— Il existe une petite bourgade à l’est d’Awkadala. Un endroit nommé Tamitsuko, le lieu est entouré de rizières, je pense que vous êtes assez intelligente pour faire le lien avec l’alcool blanc qui vous intéresse tant. Cherchez donc le messager, vous pourrez obtenir de lui la position de la tête de riz, dont le nom est assez évocateur.

Prenant un air sérieux, elle conclut, s’emparent d’un geste méticuleux des deux pierres sur la table basse.

— Quelque soit vos intentions étrangère, je vous déconseille d’allez chercher querelle à la triade, ce ne seront pas les seuls ennemis que vous vous ferrez.
L’île est organisée comme un horloge, enlevez le moindre engrenage et celle-ci s’effondrera sur vous.

Elle se lève et repart après avoir glissé les joyaux dans une bourse de soie vide.

Ce n’est pas la dernière fois que nous nous verrons plébéienne. On n’éveille pas ma curiosité sans conséquence.

Elle esquisse un geste de la main discret à l’observateur silencieux qui acquiesce, puis disparaît dans les tréfonds de l’antre pourpre.

Voyons voir comment tu t’en sors avec un de mes meilleur homme observant tout tes faits et gestes. Ne trahis pas ta couverture trop vite Éléonore, j’ai une folle envie de faire durer ce petit jeu....

— Quelles que soient vos intentions, étrangère, je vous déconseille d’aller chercher querelle à la Triade, ce ne seront pas les seuls ennemis que vous vous ferez. L’île est organisée comme une horloge, enlevez le moindre engrenage et celle-ci s’effondrera sur vous.
 
La dernière phrase de la sibylline Kyura résonna dans l’esprit attentif de Scriabine. Elle observa, impuissante, sa monnaie d’échange disparaître à tout jamais dans les méandres de cet endroit. Cela avait été un bien piètre marché, mais probablement le moins piètre de tous au vu de la situation de la Main. Du moins, c’est ce dont la Dame de Cœur parvint à se convaincre.
 
Elle quitta cet antre sulfureux avec une douce amertume sur le bout de la langue.
 
— Tamitsuko. Akwadala. Getas Usées. Tête de Riz. Alcool Blanc. Triade Opaline.
 
Quel pouvait-être le plan d’action désormais ? Comment tirer parti de ces informations ?
 
Scriabine n’avait aucune envie de demeurer plus longtemps dans ces contrées sauvages, mais elle avait encore moins envie de se risquer à un voyage nocturne. Alors elle tourna en rond dans sa piètre chambre, se martelant avec les mêmes questions.
 
 
L’aube parvenait à peine à transpercer la sempiternelle bruine lorsqu’Amandine passa la porte de Feudala. La trajet s'avéra plus pénible encore qu’à l’aller. D’ailleurs, entre Pandala Neutre et les plaines d’Akwadala, un groupe d’aigrefins mal intentionnés déposséda Scriabine de ses effets. Pratiquement pas furieuse, celle-ci fit fuir sa monture avant qu’ils ne la dérobent, en usant d’un vieux sortilège pétaradant du Mage Simon. Elle la retrouva quelques lieues plus loin, sur la route spongieuse qui menait à la fin de son calvaire. Toutefois, les bandits rancuniers avaient pris soin de laisser leur griffe sur l’étrangère, à la commissure de ses lèvres.
 
Aux douanes, on fit bien moins de formalités qu’à l’aller. Terra Amakna était un havre de liberté comparé à cette île. Scriabine repensait aux bains de boue de Bélisha, son ancienne figure d’inspiration. On respirait un grand coup, on rentrait, on faisait ce qu’on avait à faire, on sortait et on se lavait, comme si rien ne s’était passé. Il était l'heure de se laver pour Scriabine.
 
Après un brin de toilette aux abords d’un ruisseau isolé de la campagne Astrubéenne, elle retrouva une partie de son éclat. La pierre s’était encore légèrement polie.
 
Elle n’eut pas le temps de se changer, et abandonna sa monture au dragomaître de « L’Étable de la Larve Rouge » – lequel restitua le précieux dépôt de garantie à la Dame de Cœur renaissante. Celle-ci, toujours dans ses haillons prolétaires, se fraya un chemin dans les sinueuses ruelles de la cité à l’abri des regards. La « petite porte » de l’Hôtel Budavar l’attendait comme un chienchien fidèle au poste, prêt à servir. L’empressée s’y précipita et l’ouvrit grâce au rituel convenu. Une fois à l’intérieur, elle put regagner ses quartiers en toute sécurité, et redevenir ce qu’elle était.
 
Il ne restait plus qu’à convoquer l’antichambre.