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[Quête Majeure] En Tête à Tête

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Message par Le Valet Noir 26.08.21 21:03

[Quête Majeure] En Tête à Tête Main1010


La délégation de la Main était arrivée la première en terrain neutre. Un banc de sable désert, vierge de toute vie, qui émergeait quelque part sur la mer d’Asse. Le Phare Ahon s’était approché autant qu’il avait pu, avant de laisser s’échapper une chaloupe avec les négociateurs à son bord.
 
Les quatre cartes qui avaient été piochées pour cette entrevue ne l’avaient pas été au hasard. Toutes avaient déjà joué dans des paris risqués et s’étaient distinguées par leur habileté et leur talent.
 
Scriabine représentait le Cœur. Tournée vers l’ouest, elle devinait les hautes falaises du pays d’Astrub qui trempaient leur pied dans le sable chaud bordant la mer. D’un calme apparent, l’anxiété qui avait pu l’habiter la nuit passée s’était dissipée. Elle était prête, résignée. Le pendentif prodigué par le Valet pendait à son cou, sans qu'elle ne sache véritablement quel serait son rôle dans ces négociations.
 
Le Trèfle n’avait pas ce sang-froid. Kalirr Dancrage, tout de bleu vêtu, creusait le sol meuble du bout de ses souliers vernis tout en observant la jonque aux voiles rouges qui s’approchait. Voilà près d’un quart d’heure qu’elle s’était décrochée du massif de rocs noirs et poussiéreux de Feudala qui se dessinait dans le lointain. Pas un instant son regard ne s'était détaché du navire, pas même pour observer l’artiste à sa droite.
 
Arlène Kwinzel avait apporté avec elle le savoir-faire du Pique dont l’aide était précieuse dans les situations désespérées. S’il fallait fuir, s’exfiltrer de ce lopin encerclé par les eaux, les agents de la Main n’avaient pas de plan. Ils avaient Arlène. Celle-ci n’avait pas plus de plan qu’eux, mais elle escomptait bien en trouver un au moment opportun. Assise en tailleur, elle dessinait sur le sable un portrait approximatif du dernier membre du quatuor du bout d’une dague qu’elle remisait dans son dos.
 
Le représentant du Carreau était des plus inattendus. Léon Rouget essuyait méticuleusement les verres de ses petites lunettes rondes. La présence du Traître avait été requise par la Dame de Cœur qui, avec peu d’arguments et beaucoup d’insistance, avait réussi à convaincre l’Antichambre Noire de la nécessité de sa présence. Aussi avait-il quitté les montagnes et regagné Budavar, escorté par quelques membres de l'Enseigne de Kaézar.
 
La jonque s’immobilisa et une barque permit aux émissaires de la Triade Opaline de rejoindre le banc de sable. L’imposant Shin Tow en sortit le premier. Le Maître Brasseur était suivi de près d’une disciple de la Grande Ourse, armée et casquée. Deux katanas dans le dos et une paire de saï à la ceinture accompagnaient la sanguinaire Ya Fa, cheffe incontestée du bras armé de la Triade.
 
Suivait un Pandawa plus maigre, fumant une pipe de laquelle s’échappait un nuage aux effluves de bambouto. Les réseaux du Cœur l’avaient identifié comme administrateur officiel d’une banque pandalaise et gestionnaire officieux des affaires financières des Opalins.
 
La dernière âme, déjà connue des Doigts sous le nom de Po Deupesh, resta près de la chaloupe tandis que le trio de décideurs s’avançait au centre de l’îlot.
 
Léon imita Po et regagna la petite embarcation de la Main tandis que les agents du Valet Noir prenaient place face à leurs concurrents.
 
•   •   •
 
Le Roi de Cœur avait sellé les dragodindes, dégagé la cour de quelques encombrants, et vérifié l'état des barricades de fortune érigées avant le départ de ses semblables à l’aide de caisses et de boîtes de tailles diverses. Il se dirigea ensuite vers le premier étage du manoir, jusque dans un petit salon dont le mobilier carmin semblait appartenir à un autre âge.
 
À présent, il déplaçait des coffrets de fioles qu’il approchait de la fenêtre. Cette dernière lui donnait pleine vue sur la cour, le puits et le grand orme qui lui faisait face.
 
« Allez-vous transformer toute ma demeure en bastion, cher Emyn ? » questionna un personnage vêtu de noir qui s’était glissé dans la pièce sans un bruit.
 
« Juste le nécessaire. Ce n’est pas la première fois que les Opalins font diversion pour attaquer des bâtiments délaissés. Nous ne ferons pas l’erreur d’abandonner celui-là. » l’informa le Roi de Cœur.
 
« Mon manoir est invisible à qui ne le connait pas. » contre-argumenta l’ombre.
 
« Et pourtant, la méfiance est de mise avec cette Triade. Toutes vos Têtes sont équipées d'une potion de rappel conduisant ici. Si nécessaire, nous serons prêts à vous défendre. »
 
« Est-ce vraiment moi que vous défendez ? N’est-ce pas plutôt mon Trésor ? Après tout, c’est tout ce qui vous intéresse et qui… keuf… keuf… » Le Valet Noir ne put achever sa phrase, prit d’une violente quinte de toux.
 
« Mmh… L’ellébore ne vous calme plus autant qu’avant. » dit Emyn en se saisissant d’un pichet d’eau qu’il utilisa pour remplir un gobelet. Il y versa quelques gouttes d’une liqueur verte et le tendit à son maître. « Ça calmera la toux, au moins un temps. Reposez-vous ici, je vais m’assurer que toutes les issues sont closes. »
 
•   •   •
 
[Quête Majeure] En Tête à Tête Triade10


« Maîtresse Deupesh. » furent les premiers mots prononcés par Shin Tow, de cette voix puissante qui n'appartenait qu'à lui.
 
La femme de main se saisit d’un morceau de tissu resté dans la barque de la Triade et approcha du centre des négociations. Le Valet de Pique observait avec soin tous les mouvements, délibérément lents, de la porteuse de paquet. Cette dernière défit l’emballage et il émergea, au beau milieu du linge, un boulier de bronze dont chaque bille était taillée dans une pierre précieuse.
 
« Le boulier d’Abak, premier Papier de Riz de la Triade. Veuillez l’accepter en gage de notre bonne foi. » reprit Shin Tow.
 
Scriabine et Kalirr s’inclinèrent largement avant que la dame de Cœur ne délivre un ordre similaire : « Monsieur Rouget. »
 
Léon, à son tour, tira un coffret de l'embarcation de la Main et l'apporta dans le No man’s land qui séparait les Doigts des Opalins.
 
« Croyez bien que nous sommes navrés d’avoir perturbé vos traditions, mais nous réparons aujourd’hui l’affront d'hier, en témoignage de notre bienveillance. » compléta Scriabine alors que l’agent du Carreau ouvrait la boîte qui contenait un sabre d’excellente facture.
 
Si Ya Fa et Bawa Ta ne jetèrent qu’un rapide coup d’œil à l’objet, Shin Tow ouvrit de grands yeux. « Cinzanoo », murmura-t-il en s’inclinant à son tour. Po et Léon échangèrent les présents et retournèrent à leurs canots respectifs.
 
« Bon, maintenant que les formalités sont faites, on pourrait peut-être passer à l’essentiel ? » commenta Bawa Ta.
 
« Tout à fait, j’y souscris, poursuivit le Valet de Trèfle, et l’essentiel est bien… »
 
« L’essentiel, cher Monsieur Dancrage, le coupa Bawa Ta, est que nous vous battons. Sur tous les plans. Il ne tient qu’à nous que vous soyez encore en vie pour parlementer aujourd’hui, car nous entrevoyons une solution. Un accord qui serait plus profitable que votre disparition, que ce soit pour vous et pour nous. Comment dit-on sur le Continent ? Gagnant-gagnant ? »
 
« Vous savez efficacement planter le décor, à n’en pas douter. Nous vous écoutons, quel est cet accord ? »
 
« Nous n’avons qu’un marché commun : l’alcool. Aussi, vous arrêterez son commerce. Vous pourrez conserver vos autres activités, mais vous reverserez vos bénéfices à la Triade qui vous versera un salaire suffisant pour vivre dignement. Ainsi, la Main devra allégeance aux Opalins, comme un vassal à son Roi, et vos associés auront encore la vie devant eux. »
 
Kalirr, mains jointes dans le dos, hochait la tête.
 
« Nous entendons votre « proposition », mais celle-ci n'est pas raisonnable. Vous agissez en vainqueur, et il est vrai que vous nous avez battus sur certains fronts, mais il n'en demeure pas moins que notre réseau commercial en Terra Amakna est autrement plus développé que vos quelques tentatives d'implantation à Brâkmar et Sufokia. Vous n'arriverez jamais à vous étendre rapidement dans ces zones sans notre aide et notre savoir-faire. »
 
Scriabine compléta les propos de son acolyte du Trèfle :
 
« Comme nous, vous connaissez bien trop la soif de liberté des gens qui composent ce métier. Personne ne se laisse assujettir, chacun fait ses affaires. Et si vous voulez vous débarrasser d'un rival, vous devrez en couper chaque racine, vous devrez délogez toutes ces cooleuvres acculées qui n'ont plus que leurs crocs comme instruments de négociation. Est-ce vraiment une perspective qui séduirait la Triade Opaline, de se lancer dans une telle croisade ? »
 
Kalirr renchérit :
 
« Vous nous pensez à terre, mais nous avons sagement encaissé les coups, pour mieux vous connaître. Par exemple, nos réseaux d’espions ont parfaitement localisé votre entrepôt central dans ce vieux temple abandonné de Plantala. Quant à nos saboteurs et nos assassins, ils sont à pied d’œuvre. Sans contrordre, il se pourrait qu'avant le coucher du soleil quelques tonneaux s'embrasent et fassent exploser l'entrepôt. Cela signifie deux choses : premièrement, nous allons devoir reprendre ces négociations du début. Secondement, il nous faut nous hâter car Xélor fait tourner l’horloge. » conclut le Valet de Trèfle.
 
•   •   •
 
Lorsqu’Emyn quitta la pièce, le Valet Noir ne se retrouva pas seul pour autant. Il sentit une présence brûlante à ses côtés. Tournant son regard, il vit le Miroir CI s’illuminer au fond de la pièce, une jeune femme apparaissant dans ce qui aurait dû être son reflet à lui.
 
« Vous, très chère ? Je vous croyais disparue depuis des mois. » murmura l’ancien Roi de Pique.
 
« Jamais, je serai vôtre jusqu'à la fin. Ce que j’ai à vous annoncer n’est guère plaisant, une prophétie vous concerne, elle m'est venue ce matin. Je viens vous en déclamer les vers. » répondit l'occupante embrasée de cette fenêtre sur un ailleurs inconnu.
 
« L'ombre née des flammes s'éteindra dans les flammes
Périt le hibou de la main des félons
S'envolent ses souvenirs, s'envole son âme
Car voici le temps de la dague et du tromblon. »
 
Tels furent les mots qu'elle prononça avant de disparaître et que la Glace ne redevienne miroir.
 
Le Valet Noir resta seul de longues minutes, décortiquant chaque mot. Les quatre vers tournaient dans son esprit et un sentiment de dégoût l'envahit. Le Roi de Coeur, qui avait méticuleusement vérifié tous les huis, revint dans le salon et y découvrit son maître en proie au tourment.
 
« Emyn... Qui ? Dites-moi qui est à l’origine de cette forfaiture ! »
 
« Je vous demande pardon ? » s'étonna l'alchimiste, de bonne foi.
 
« QUI, PARMI VOUS, ME VEUT MORT ? » hurla le maître des lieux en se redressant vivement. « Il y en a au moins un ! Ou une... »
 
« Allons, vous divaguez ! Avez-vous pris votre médication ? Prenez-la, elle vous calmera. »
 
« Oh, non… Pas vous, mon cher Emyn ? Vous êtes parmi les complotistes ? Le premier d’entre eux peut-être même ? »
 
Emyn voulut répondre mais un éclair bleuté frappa la cour. Il se précipita à la fenêtre pour découvrir quel malheur s'abattait sur eux.
 
[Quête Majeure] En Tête à Tête Valet-10


•   •   •
 
La patte velue de Bawa Ta enserra la main manucurée du Valet de Trèfle. Les deux négociateurs étaient enfin parvenus à un accord. La Main disposerait d'un monopole commercial dans les provinces d'Astrub et d'Amakna Nord, et se refuserait définitivement à investir les zones d'Amakna Sud, Brâkmar, et Pandala sous le joug de la Triade. Quant au reste du monde, il s'y exercerait une libre concurrence, au plus malin de tirer son épingle du jeu. Pour ne pas créer de pénurie, et profiter de la rareté, les deux organisations convinrent de s'acheter et de se vendre leurs alcools à des prix préférentiels. Ainsi, la Main pourrait commercialiser de l'Alcool blanc dans sa zone, et la Triade en ferait autant avec le Vinaigre. Chaque organisation tirerait donc une partie de ses bénéfices grâce à l'autre. En outre, la Main s'engageait à fournir pacifiquement à la Triade tout son réseau commercial situé dans sa nouvelle zone d'influence, cela comprenant notamment les établissements Brâkmariens et le Temple de la Fée Verte. Chaque organisation devrait informer l'autre lorsqu'elle pénétrerait dans sa zone de monopole afin d'écarter toute tentative de violation de l'accord.
 
« Ces messieurs paraissent satisfaits, n’est-ce pas Maître Tow ? Il nous incombe maintenant de faire preuve de sagesse. La confiance grandit avec le temps et de temps nous manquons. Faisons donc en sorte d’apporter des garanties aux termes de ce contrat. » reprit Scriabine.
 
« Voilà qui est bien parlé, Madame. Et je perçois, au son de votre voix, que vous avez déjà une idée de ladite garantie. »
 
« J'ai ouïe dire que l'échange d'otage était une tradition de vos contrées, afin de sceller les traités de paix. Nous avons à cœur de respecter les usages qui sont les vôtres. »
 
« Mmh, je salue cette connaissance de notre culture, rare chez les continentaux. Toutefois, ce sont généralement des fils ou filles de nobles que nous échangeons, je crains que ni vous ni nous ne possédions de pareille monnaie d'échange. »
 
« Ce qui importe, si je me fie à la sagesse de cette tradition, c'est la valeur de l'otage. Un enfant, c'est la promesse d'une succession, c'est un présent des Dieux qui nous est précieux, et que l'on ne souhaite pas perdre. Tel est, je pense, la philosophie de cette coutume. Ce qui nous est précieux à nous, ce ne sont pas nos fils ou nos filles, ce sont les loyaux collaborateurs. »
 
« Vous nous proposeriez d'échanger des membres importants de nos organisations respectives ? »
 
« Exactement. Nous vous livrons un éminent membre de la Main, que vous traiterez avec tous les égards dus à son rang et, en retour, nous accueillerons parmi nous... disons ce noble Lenald qui se nomme Getas Usées. Le temps de mettre en place les clauses de notre traité seulement, bien entendu. Qu'en diriez-vous ? »
 
L’annonce de la Dame Écarlate avait surpris tout le monde. Et, quand tous constatèrent qu'elle ne plaisantait pas, les trois Pandawas se retirèrent près de leur embarcation afin de se concerter.
 
« Scriabine, qu’est-ce que c’est que cette proposition ? Ça ne fait pas partie du plan. » murmura Kalirr à l'adresse de la petite femme.
 
« Kalirr, il se pourrait que ces négociations nous permettent de régler plus d'un problème. Tu vas voir. » rétorqua la patronne du Cœur avant le retour du trio Opalin.
 
« Vous savez que nous sommes quatre gestionnaires de la Triade. Vous nous demandez, en otage, celui qui, de nous quatre, est absent aujourd’hui. De ce que nous avons compris, vous êtes pareillement administrés par quatre Têtes. La logique voudrait que nous vous demandions une Tête, toutefois... c'est vous qui avez proposé cet échange d'otages, et nous ne savons pas si une de vos Têtes est aussi précieuse que Getas Usées. » énonça Shin Tow.
 
Tout comme les disciples de Pandawa, les Doigts se rapprochèrent de leur canot dans le but d'y tenir conciliabule.
 
« Livrer une Tête ! Qu’est-ce que ça veut dire, Scriabine ? Même contre Getas Usées, c’est un risque inconsidéré ! Et, de toute façon ils ne le veulent même pas. Qu'est-ce que c'était que cette idée d'échange d'otages ?! » tempêtait Kalirr à voix basse.
 
« Getas Usées en sait beaucoup, crois-moi. C’est une arme qui, bien utilisée, nous permettrait de tenir de nouvelles négociations, mais en position de force cette fois. Cependant, je suis d’accord avec toi, nous ne pouvons pas nous permettre de livrer une Tête. » Répondit calmement Scriabine.
 
« Et donc ? À quoi t'attendais-tu ? » Le Valet de Trèfle s'impatientait.
 
« Et donc nous allons leur livrer mieux qu'une Tête, nous allons leur livrer le Valet Noir. »
 
« Collyre, siffla l'arlequine, je crois que le soleil de la Mer d'Asse a mamatraqué la Mamatriarche. »
 
« Pensez-y, reprit la Dame. C'est l’occasion rêvée d'éliminer la Triade et le Valet Noir en même temps. Le vieux fossile passe son temps à nous mettre des bâtons dans les roues. Il est temps que nous reprenions les rênes de la Main sans avoir de comptes à lui rendre. Ils veulent plus qu'une Tête, nous allons leur donner LA Tête, le symbole, le nom, la légende. »
 
« C’est habile, il faut le reconnaître. Combien de chances y a-t-il que ça marche ? »
 
« Il n'y a qu'une seule façon de le savoir. »
 
« Tu-tu-tu, château pointu, y a un comme un hic. Notre Emynence Grise ne sera pas d’accord. Ça, non. »
 
« Emyn est un homme sage, sauf lorsqu'il s'agit du Valet. Nous lui expliquerons calmement une fois la tempête passée. Il s'y fera. »
 
Les deux Valets se dévisagèrent, Kalirr opinant du chef tandis qu'Arlène haussait les épaules et grelottait, puis les trois Doigts revinrent au centre de ce qui n'était pas une île. L’accord fut conclu et il fut convenu que l’échange d’otages aurait lieu deux jours plus tard sur ce même banc de sable tout juste bon à passer pour un embryon de rien perdu au milieu des vagues du Grand Tout océanique. Les Pandawas regagnèrent leur jonque et les agents de la Main se retrouvèrent à nouveau seuls.
 
« Bon, commença Scriabine. Léon et moi retournons à bord du Phare Ahon. Les Opalins veulent des clarifications sur l'opération du temple de Plantala. Nous ferons voile vers l’est. Je vais en profiter pour m’entretenir en privé avec ce Shin Tow. C’est une honte que nos agents n’aient pas su déceler le potentiel de cet individu, mais il n’est peut-être pas trop tard pour l’exploiter. »
 
« Et nous, quoi qu'tu veux qu'on fasse ? On s'en va chercher l'Ancêtre pour sa prom'nade, c'est ça ? Je m'demande s'il a jamais fichu les pieds à Pandala. Après l'déluge, j'veux dire. Tu crois qu'il appréciera l'voyage ? » demanda Arlène en se retournant vers Kalirr. Ce dernier acquiesça et, sans perdre de temps, les deux complices trinquèrent avec leurs potions de rappel avant d’avaler le contenu des fioles.
 
•   •   •
 
Dans un éclair bleuté, les deux Valets apparurent dans la cour. Emyn, qui les avait aperçus depuis la fenêtre, avait délaissé le maître des lieux et était descendu en toute hâte. Arlène désigna le Roi de Cœur d'un hochement de tête. Kalirr opina du chef au son de ce tintinnabulement de grelots. Le Valet de Pique, s’enfonça dans le manoir au pas de course.
 
« Kalirr, enfin, où va-t-elle ? Où est Scriabine ? Le Valet, il… » s’inquiéta Emyn.
 
« Pas le temps, il y a eu un souci. Scriabine doit avoir des problèmes. Il faut qu’on regagne le Lépreux Chauve en toute hâte. » le coupa Kalirr en feignant la panique.
 
A ces mots, le Roi de Cœur et le Valet de Trèfle sautèrent sur deux dragodindes et s’enfoncèrent dans l’épaisse forêt qui enveloppait le manoir.
 
•   •   •
 
Quand Arlène parvint à l’étage, elle y découvrit le Valet Noir qui la dévisagea longuement.
 
« Ah. Au moins, vous conservez cet honneur. Quitte à mourir, autant que ce soit de la main d’une professionnelle. De la main d’une des miennes. »
 
« Hu ? »
 
Le Valet de Pique n’eut pas le temps de poser de question plus longue. L’homme en noir s’élança par la fenêtre ouverte. D’un bond prodigieux, il s’appuya sur une branche de l’orme pour se donner de l’élan et rebondir encore plus loin. Ni une, ni deux, l’arlequine l’imita. Sans être nantie d'une paire de bottes tirée du Trésor, elle.
 
L’ancien maître du Pique avait conservé une certaine souplesse, en dépit du renfort bienvenu des Sandales de Vélocité. Il sautait d’une des barricades installées par Emyn et les Têtes à l’autre et se mouvait ainsi dans la cour sans jamais toucher le sol. Sur la dernière, il prit davantage d’élan et entama l’ascension de la façade de son propre manoir.
 
De l’aile gauche dépassait une petite tour et cette dernière semblait être son objectif. Il grimpait, escaladait et semblait même se mouvoir plus vite à la verticale que sur le plancher des moogrrs. Même le Valet de Pique, qui le suivait de près, ne réussissait pas à le rattraper.
 
Il arriva finalement au sommet et se glissa dans une petite lucarne qui donnait sur l’intérieur de la tourelle. Le Roi de Cœur l’avait laissée ouverte car il savait que les oiseaux de son maître allaient et venaient librement par là.
 
La monte-en-l’air voulut l’imiter. Elle parvint devant l’huis mais, avant d’avoir pu le franchir, un projectile vint la cogner au menton avec violence. Elle perdit l’équilibre, et se rattrapa au bord de la fenêtre in extremis.
 
« Raté, Kwinzel. »
 
D’un effort musculaire, Arlène se hissa au niveau de la fenêtre, mais le Valet Noir, qui n’entendait pas se laisser faire, revint à la charge. D’un coup de maillet déniché dans la pièce, il envoya voler le Valet de Pique qui passa, en quelques secondes, du sommet de la tour au dallage qui encerclait le puits.
 
Arlène gisait là, inanimée.  Le Valet regardait le corps de l’arlequine, quelques toises plus bas, avec une morne déception. Ses propres enfants, les Têtes, désiraient sa mort.
 
« Sauf Emyn, marmonna-t-il. Il n’y a plus que lui sur qui compter… »
 
Kalirr aussi semblait avoir plongé dans la combine, éloignant le Roi de Cœur du manoir, afin que l’assassine puisse accomplir son office. Mais Arlène n’avait jamais été une manipulatrice, pas plus qu’une traîtresse.
 
Il n’y avait qu’une responsable à ce coup d’État, l’éternelle aigrie, l’insatisfaite, l’incommodante et désagréable Scriabine.
 
« Elle n’est pas là, bien sûr. Trop lâche pour se montrer en personne et affronter mon regard. »
 
•   •   •
 
Au même moment, Scriabine savourait sa victoire sur le pont grinçant du Phare Ahon qui déjà s’enfonçait dans le brouillard Pandalais.
 
Léon, le vieux baroudeur, le traître du Carreau, passa sa main calleuse sur la nuque de sa muse.
 
« Tu es terrible, lâcha-t-il. Vendre le Valet, il fallait oser ! Je n’aurais jamais pensé que les autres te suivraient. »
 
« Notre vieux maître paye sa négligence. Il paye son idéalisme, et sa soif absurde de trésors et d’artefacts. Il y a longtemps qu’il aurait dû cesser de geindre et d’entraver nos plans. C’est le risque d’avoir de l’autorité sans pouvoir. »
 
Scriabine qui, pourtant, venait de conclure un affrontement de plusieurs années avec le Valet, ne savait pleinement apprécier cette victoire.
 
« Que vas-tu faire maintenant ? » demanda Léon.
 
« Je vais continuer à faire ce pour quoi je suis bonne. »
 
« Briser les cœurs ? »
 
La Dame de Cœur se souvint de son premier voyage sur l’île d’Otomaï. Elle avait navigué incognito sur un navire du même tonnage. Émerveillée par les plaines marines, faites de vagues et de creux, elle avait coincé sa tête dans le bastingage. C’était un garçon du nom de Marco qui l’en avait délogée. Marco.
 
Que lui restait-il de tout cela ? De cette naïveté, de ce profond goût de la vie ?
 
Elle tourna la tête vers Léon, dont les cheveux poivre et sel remuaient mollement au gré la douce brise pandalaise.
 
« Peut-être qu’il est temps de prendre une retraite anticipée. Toi aussi d’ailleurs, l’air des montagnes ne te réussit pas. »
 
•   •   •
 
Un sourire carnassier déchira le visage du Valet.
 
« J’ai bien fait de prendre mes dispositions. Je ne pensais pas avoir à l’utiliser, mais… cette démone ne me laisse plus le choix. Il en va de ma survie, du manoir, et de mes fidèles oiseaux. Eux ne me trahiraient jamais ! Eux sont dignes d’être sous ma protection... Je dois le faire… »
 
Le vieux maître de la Main descendit l’escalier en colimaçon de sa tour. Épuisé par ses précédentes acrobaties, il manqua de trébucher à deux reprises. Mais il tint bon, convaincu de l’intérêt de la nouvelle mission qui était sienne.
 
Il franchit un long corridor, un autre escalier, puis gagna la cave qui abritait une grande partie de ses trésors. Il extirpa d’un coffret nacré un petit joyau semblable à un rubis, mais d'un éclat plus sombre. Il le contempla, un brin de démence défigurant ses traits, et mira la pièce. Via son prisme, elle lui apparut entièrement rouge et déformée.
 
« Tu es cuite, Scriabine. Cuite ! »
 
Le Valet Noir ramena son butin dans la salle à manger et entreprit d’allumer un grand feu dans l’âtre de la cheminée. Il ne lésina ni sur le petit bois ni sur l’étoupe pour faire partir le brasier qui ne tarda pas à prendre des dimensions respectables.
 
« Où que tu sois, traîtresse, le feu de ma vengeance te trouvera ! »
 
Sur ces paroles théâtrales, il jeta le rubis sombre dans les flammes voraces. Dès qu’elle entra en contact avec les braises incandescentes, la pierre s’illumina et se mit à cracher un feu rose tout en se consumant et en crépitant bruyamment. Sous les éclats de rire du Valet en transe, des escarbilles furent projetées, çà et là dans la pièce, embrasant rideaux, nappes, et tapis. Enfin, le joyau explosa dans une sourde secousse qui fit trembler les murs.
 
•   •   •
 
Le pendentif en forme de hibou, précédemment confiée à Scriabine par le Valet, se mit à briller du même feu. La Dame de Cœur, qui portait le bijou-trésor autour du cou, eut juste le temps de sentir sa peau brûler au contact de la pierre ardente avant que le Phare Ahon ne soit avalé par la sphère de lumière rosâtre générée par l’explosion.
[Quête Majeure] En Tête à Tête Lady_o10
 
Seuls témoins de l’événement, à plusieurs lieues de là, quelques pêcheurs aperçurent une tache diffuse dans la brume Pandalaise.
 
Le navire n’avait pas sombré, il avait été vaporisé. Lui... et tous ses occupants.
 
•   •   •
 
[Quête Majeure] En Tête à Tête Burnin10


Le soleil n’allait pas tarder à se coucher lorsque les derniers madriers achevèrent de se consumer. Certains s'effondrèrent dans un grincement pathétique. Chaque chute était accompagnée de nuages de cendres brûlantes et de nuées de braises virevoltantes.

De la demeure du maître de la Main, il ne restait plus qu'une poignée de pans de murs dont les pierres avaient éclaté en claquements sonores sous l’effet de la chaleur. Quelque relique enchantée jadis arrachée des mains d’un propriétaire trop naïf avait-elle décuplé la voracité de l’incendie au contact des flammes ? Nul ne le saurait jamais… Toujours était-il qu’il ne subsistait plus aucune trace de celui qui avait fait bâtir le repaire forestier. Le Valet Noir avait troqué son statut de légende vivante contre celui de mythe. Une bonne fois pour toutes.

L’arlequine du Pique, le corps perclus de douleur, assistait à ce triple crépuscule. Son dos la lançait, son épaule gauche la faisait souffrir, l’une de ses chevilles aurait mérité des soins immédiats et son moral, loin d'être en reste, en avait pris un coup.
L’Arlène grimaçait, assise : ce n’était pas ce qu'ils avaient prévu. Ça n’aurait pas dû... tourner vinaigre. Enfin, ç’aurait pu tourner vinaigre ; ça faisait partie des risques ! Mais elle avait été loin d’imaginer cela… Aucun d’entre eux n’aurait pu l’envisager.

Pourtant, elle était là, maussade, à regarder brûler les vestiges d’une histoire et de son auteur. Bah, songea-t-elle, il y aurait peut-être quelque chose de bon à tirer de tout cela ? L’agent du Pique, désormais orphelin de son fondateur, se releva en gémissant. Il allait sans doute lui falloir tenir à l’écart du sinistre les inévitables curieux qui viendraient à bout de plusieurs décennies d’éloignement d’une forêt supposément hantée, attirés qu'ils seraient par l’imposant panache de fumée qui s’en élevait.

Il y avait des jours où elle regrettait de ne pas être tombée sur la tête…

Illustrations : Owl par Kajenna ; Musketeer's story par leventep ; Lady of Casterly Rock par Lasse17 ; Castle Age - Burning village par Andreas Rocha 
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Le Valet Noir
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