Candidature de Kucci

Kucci n’avait que ça à l’esprit à la fin de la séance. Il avait assisté sagement au défilé des intéressés qui s’enchaînaient pour réclamer des trésors avec une légitimité variable. Pourtant, lui-même n’était rien venu demander bien qu’il était, sans doute, parmi les plus démunis de l’assemblée.
L’homme qui lui avait donné la parole lui avait rendu grand service. Jamais il n’aurait osé se présenter de lui-même au public pour rendre hommage à l’homme qui l’avait, sans condition, chaleureusement accueilli chez lui. Leur rencontre ne datait que de quelques semaines, tout au plus. Cette période, à l’échelle d’une vie, n’avait pas duré plus qu’une virgule dans une nouvelle, mais elle importait bien plus pour le jeune démuni. C’est pourquoi sa maigre intervention, sa prise de parole fortuite, l’avait quelque peu soulagé. Il avait pu, se rendant sur scène en boitillant, récitant avec une diction fort hésitante un sonnet irrégulier, exprimer ce qu’il avait sur le cœur.

Mais le soulagement fut court. Bien vite redescendu de l’estrade et de son petit nuage, l’écaflip s’autorisa enfin à encaisser le dur retour à la réalité, à sa réalité : la rue.
Il n’avait d’autre choix que d’y retourner. Cette véritable meurtrière anonyme et vile n’avait aucune pitié. Elle manquait aussi cruellement d’hospitalité. Plus on peinait à y vivre, plus elle nous collait à la peau. Kucci était coincé dans l’engrenage depuis désormais bien longtemps. Il était temps, après un bref rayon de soleil, de se remémorer son parcours dans l’obscurité pour espérer retourner rapidement à la lumière. D’écaflip, il n’avait que l’apparence. S’étaient enchaînés les désastres et les mauvaises rencontres dans sa vie pourtant pas si longue.

Il déambula dans les rues d’Astrub jusqu’au coucher du soleil et erra longuement, comme s’il refusait de s’arrêter. Peut-être cherchait-il un endroit où passer la nuit, ou bien était-ce pour lui l’occasion de nier la condition dans laquelle il se retrouvait à nouveau. Sa marche lui permit de faire le bilan de ses mésaventures.
En l'espace de quelques mois, elles s'étaient accumulées. D'abord, il y eut cette bagarre sans queue ni tête. Un homme aux propos incohérents, probablement ivre, était venu s'en prendre au gringalet pendant son sommeil. Il cherchait sur le jeune homme une somme d'argent importante soi-disant due. Non satisfait que l'écaflip n'eut pas un kamas sur lui, le malotru, tout de même imposant, avait attaqué Kucci.

Le jeune démuni, pris au dépourvu et déjà faiblard, fut alors incapable de se défendre. Il garda de cette rencontre différents hématomes, un moral au plus bas et une patte folle. Plus d'un an après l'altercation, Kucci ne marchait toujours pas convenablement.
Il y eut ensuite sa rencontre avec deux malfrats fréquentant les alentours du lac d’Astrub. Deux filous reconnaissables de loin. L’un, vêtu de pourpre, transpirait la roublardise, tandis que l’autre, intégralement dissimulé par un costume aussi sombre que ses intentions, avait une voix singulière qui effrayait Kucci.
Les deux fripons, accommodés à incommoder les habitués des environs, et décidant de s’essayer à des méfaits plus osés, s’intéressèrent au frêle garçon. Ils lui promirent de le sortir de la misère, de devenir un grand bandit respecté tout comme eux et de crouler sous les richesses.
Kucci, bien qu’il ne fut pas de nature agressive, fut, après longues journées de réflexion, finalement convaincu par l’idée d’être tiré de la rue. Il entrevoyait là une perspective de revenu qui, à défaut d’être louable, lui aurait permis un niveau de vie convenable.

Il n’en fut rien. L’écaflip se retrouva réduit au rang de simple assistant. C’était là une bien belle façon qu’avaient les deux compères de nommer celui dont ils avaient fait leur sous-fifre. Il devint leur défouloir, ainsi que la paire de bras qu’il leur fallait pour leurs actions d’ampleur. L’une d’elle en particulier laissa un goût très amer à Kucci, car elle avait tourné au vinaigre. Un plan très bancal les avait menés dans une impasse et le jeune homme avait été abandonné au milieu d’aventuriers venus les arrêter. Il fut contraint de se rendre et joua le rôle de bouc émissaire.

La nuit tombait. En se remémorant cette histoire, Kucci se demandait ce qu’il aurait bien pu accomplir, en tant que truand, s’il avait été valide. Sa jambe ne lui faisait plus aussi mal qu’auparavant, mais la douleur n’avait pas entièrement disparu et elle était constamment engourdie.
Sa marche hasardeuse le mena à la taverne d’Astrub. Pas très enclin à la consommation d‘alcool, il lui arrivait néanmoins de s’aventurer en ce lieu pour écouter les libres confessions des derniers piliers de comptoir y traînant à heures tardives. Il n’avait, de toute façon, aucunement les moyens de les imiter. Écouter le malheur des autres et leur donner des conseils avec sa politesse inadaptée le rassurait en quelque sorte sur sa propre existence.

Ce soir-là, entre deux conversations à sens unique, un homme entonna un chant que Kucci n’avait jamais entendu. L’homme contait -lorsque ses paroles étaient assez audibles- l’histoire d’un homme qui, débutant avec peu, s’était, par le crime, fondé un entourage fidèle et avait fait fortune. Il interpréta ces paroles comme un signe du destin. Peu croyant pourtant, il s’empressa de questionner l’ivrogne sur l’identité de l’homme dont il venait de réciter l’histoire.
Quelques habitués parvinrent, malgré leur ivresse, à expliquer à l’écaflip ce qu’ils connaissaient du contexte dans lequel l’œuvre avait été écrite. On lui dit alors que l’organisation avait sans doute été dissoute depuis des années.Là était sa chance. Il avait tenté de devenir un bandit reconnu une fois, mais il s’y était mal pris. Il se persuada que c’est la persévérance dans cette voie qui allait lui permettre d’en finir avec la mendicité.
Il lui fallait à tout prix rejoindre la Main du Valet Noir.

Bonsoir !

Je dois avouer un certain retard dans la lecture des Récits d'Invention – que je corrigerai sous peu – je n'ai donc lu que le texte présent. Et je dois avouer l'avoir beaucoup aimé !

Je constate avec joie que tu rejoins mon club très sélect des publications forum avec texte justifié et que tu en fais les frais ! Petite astuce, quand on édite un texte justifié sur ce forum – je ne sais pas pourquoi – mais il faut généralement doubler les espaces car il y en a toujours un qui saute. Ce qui donne des textes non-aérés... L'autre option, pour ne pas doubler les espaces, est d'écrire en justifié sur un traitement de texte et de copier-coller. La dernière alternative est de ne pas justifier le texte mais cette solution de la simplicité ne permet pas de rester dans le club.

Sinon, le lien avec la Main est là, le personnage est intéressant même s'il demande à se construire avec le temps. D'un point de vu HRP, si tu cherches de l'animation, nous sommes toujours en quête de main-d'oeuvre ou de concepteurs. Ce sera avec plaisir ! 

Je donne donc ma voix pour ton entrée dans la Main.

À très vite !