[Quête mineure] Former la Paire.

Quel étrange sensation que la nostalgie. Ce sentiment doux-amer, qui trouble l'esprit, le rend euphorique et triste en un même temps, soulève les joies passées, désarme les défenses pragmatiques de la raison, s'était saisi de la jeune huppermage.

Un sentiment dont on ne sait que faire. Il fait ressurgir les regrets, les peines, nous questionne sur nos choix passés, nous empêche parfois d'apercevoir l'avenir. Il tiraille les âmes blessées, grise les sens tout en les inhibant. C'est à l'image de l'habitation d'Orno, qui logeait à deux pas, à un coup d'oeil de côté, du Lépreux Chauve. Son présent était à quelques kamètres de son récent passé. Une situation terrible car, les rares fois où elle s'essayait à franchir le seuil de la porte, elle ne trouvait plus personne, si l'on omet Camille le tenancier.

Réfléchir à ce passé faisait résonner en elle un passé plus lointain, autrefois heureux, mais qu'elle avait fini par découvrir cause de son malheur présent. Cet Ordre qui l'avait sauvée, élevée, éduquée et recueillie; il avait en réalité coupé son lien avec le monde. Et la jeune huppermage, malgré une connaissance poussée de la culture martiale et des règles qui régissent la nature, constatait une chose effroyable ; cette vérité cruelle et froide : elle ne connaissait pas son monde.

La Main du Valet Noir lui avait offert une brève fenêtre sur la réalité, ou plutôt une réalité. Elle n'avait peut-être pas encore totalement admis qu'elle servait une organisation criminelle, car elle ne pouvait laisser passer cette opportunité de découverte. Et déjà quelques années après la fin, elle peinait encore à se faire une place dans une société complexe où chacun joue son propre rôle. Quel était le sien ? Orno l'ignorait. Elle avait bouquiné sans cesse pour tenter, studieusement, de rattraper son retard, mais elle avait un serieux problème de méthode.

Et pourtant, lorsque ce soir là, elle décida de rendre visite à un vieil ami fantomatique, elle eut un air plus naturel, plus mature. La guerrière progressait, pas à pas, dans ce monde qui n'était presque pas le sien. C'est du moins ce que put observer le compagnon qu'elle n'espérait pas croiser, Basilio XVII.

La rencontre de cet ancien camarade remua Orno. Elle assaillit l'homme champignon de questions, elle qui était restée éloignée des dernières nouvelles. En réalité, elle ignorait presque tout de la Main, jusqu'à sa survie.

Envahie par cette nostalgie ambivalente, ce goût doux-amer, elle confia ses craintes et ressentis au bolet qui, terre à terre, lui décrit de son côté l'état de ses connaissances sur la question de la Main. Deux doigts étaient, après tant de temps, de nouveau réunis pour aborder cela.

Peu soucieuse d'être discrète, elle redemanda à Basilio sa carte, et ils s'aperçurent qu'ils avaient la même. Un petit trois de carreaux. Ironiquement, c'était probablement la carte la plus élevée qui restait de l'enseigne après la disparition de Garnan.

L'homme champignon ajouta, avec une pointe d'humour : "À nous deux, nous formons donc la paire."

Cette phrase résonna en elle. Orno fut décidée. Ils formeraient la paire. Elle allait reprendre du service.

L'arrivée d'un autre homme qu'elle n'aurait jamais imaginé croiser avait également surpris la jeune femme. Emyn Muil se présenta au Lépreux Chauve. Quelle meilleure occasion de former la paire qu'au retour du roi ?

Quelques instants de discussion plus tard, Orno et Basilio croisèrent le fer. Un truc de carreaux. Un constat s'imposa alors : les deux combattants étaient complémentaires. Une femme fine, agile, précise et à l'allonge impressionnante, mais à la force limitée et au corps quelque peu fragile ; alliée à un bolet fort et combattif, frapper fort, avec des bras courts mais furieusement efficaces pour le pugilat, sans oublier les sécrétions aéroportées dont il avait le secret.

"Vous serez mon répit, je serai votre allonge".

Cette complémentarité ferait leur force, unis sous l'étendart du Carreau. La Main avait désormais dans sa manche une paire, et une couleur.