[Quête mineure] En la forêt d'ennuyeuse tristesse

À vrai dire, le scientifique était très curieux. Il croisa le regard de Thomas, semblant comprendre ses doutes, puis répondit à Courbépine.

- Nous devons être à notre destination le plus rapidement possible, mais je crois comprendre qu'on perdra moins de temps à vous aider qu'à chercher la sortie par nos propres moyens.

Il marqua une pause, fixant les flammes. Nabab s'était assoupi, il était vraiment adorable.
Pour finir, il conclut :

- Nous acceptons de vous aider avec cet esprit. J'ai noté ce qu'il nous a dit, on devrait commencer par chercher un sens à ces paroles pour comprendre ce qu'il attend de nous.

Il fixa ensuite Basilio, Thomas et Kucci, attendant leur accord.

 
 

 

Le masqué s'était jeté sur la soupe, calmant son estomac qui réclamait sa pitance depuis plus d'une heure. Puis il avait à partir de ses notes réécrit une version approximative des paroles de l'esprit, avant de la poser sur la table sous le regard de tous les hommes présents.

En la forêt d'ennuyeuse tristesse
M'advint un jour qu'à part moi cheminais
Si rencontrais l'amoureuse déesse
M'appelant, demandant où j'allais,
Je répondis que par Fortune étais
Mis en l'exil en ce bois, ???
Et qu'à bon droit appeler me trouvait pouvait
L'homme égaré qui ne sait où il va

Il caressa Nanab sans le réveiller, attendant les précisions de Courbépine.

« Maintenant, dans la nuit ? Enfin, comme vous voudrez. »

Le petit homme se leva et alla chercher son manteau et sa lanterne. Il fit signe à ses hôtes de le suivre et ils s'enfoncèrent ensemble dans l'ombre de la nuit. Après une marche pénible dans le noir jusqu'en bas de la colline, ils longèrent quelque temps la rivière qui coulait dans un repli en contrebas. Et, comme ils approchèrent d'une rangée de grands saules à l'écorce noueuse, plongeant les racines dans l'eau, l'étrange phénomène se répéta et la voix mystérieuse s'invita dans l'intimité de leur écoute, entonnant une même complainte.




Courbépine s'était raidit, pétrifié. N'osant plus avancer, il lançait des regards inquiets aux voyageurs en soufflant : « Il est là ! Ne tardons pas, rentrons, rentrons ! »

Dodelinant de son large chapeau, le Bolet refusa :

« Votre chanteur est là, et nous aussi. Finissons-en une bonne fois pour toutes. Que le Nomoon s'en aille en direction de la source de ces paroles et nous signale s'il y voit quelqu'un. Nous avons entendu, alors exécutons. »

C'est donc à contrecœur qu'Adellan se saisit de son primate jusqu'alors perché sur son épaule. Ses mains habiles exécutèrent une danse compréhensible uniquement pour le nomoon alors qu'il murmurait des consignes - uniquement pour capter l'attention du petit singe qui ne comprenait pas ce langage. Ceci fait, et après une caresse et une bananagrume, Nanab s'enfonça dans l'obscurité, en direction de cette voix.
De son côté, le masqué brandit son carnet et nota la suite de la chanson, persuadé qu'elle leur servira bientôt.

L'écaflip, qui était demeuré silencieux tout le trajet depuis l'arrivé de l'autochtone, et c'était contenté d'observer les détails de la demeure fongique, se vit soudainement intéressé par le nouvel objectif fixé au groupe. Le voyage ne l'emballait toujours pas, et faire une pause, doublée d'une énigme à résoudre, éveillait sa curiosité.

Le félin demanda à Adellan de lui montrer ses notes, qu'il lut alors attentivement. Les mots, ça le connaissait; davantage que les voyages, du moins.

« Je n'y comprends pas grand-chose. Il semble que votre esprit ait quelques problèmes de conjugaison. »

Il se tourna vers ses compères.

« Il doit y avoir un sens caché, c'est sûr. Quoique, c'est peut-être une âme en peine qui a égaré son verbe en plus de son chemin.»

Le petit nomoon s'avançait vers la rivière à pas prudents, l'air dubitatif, avant de disparaître dans la végétation. Puis, après un temps bref, il réapparut en courant à toutes jambes, visiblement terrifié. Il indiquait en poussant des cris plaintifs la direction d'où il venait, où, au loin dans la nuit, une lumière bleutée s'était mise à luire. En s'approchant, l'on put apercevoir une forme indistincte nimbée de lumière, comme une flamme volant au-dessus de l'eau, à l'abri des branches larmoyantes des saules baignant dans l'onde. C'est de l'étrange phénomène que semblait provenir l'indicible tension lancinante qui saturait l'air.

Edit:

La première chose qu'il fit fut de rassurer par des caresses le nomoon qui s'était jeté dans ses bras. Puis, malgré les plaintes du singe et après avoir confié les pages à Kucci, il se dirigea vers la lueur, passant son masque du Pleutre pour fuir au cas où et surtout transformer toute trace de peur en énergie. Car tel était le pouvoir de l'objet.
Il restait cependant à distance raisonnable alors qu'il observait. Peut-être un simple feu follet... ?

Le Bolet cracha, dépité. Il fallait que ce soit de la magie... Saleté !

Sabres au clair, le bretteur trapu emboîta le pas au Zobal.

- On l'attaque ou on essaye de lui parler ? murmura le Zobal au sabreur.

Il s'était reculé furtivement, hors de portée d'un coup d'épée potentiel.

Le Bolet désigna le geste préventif de leur cible.

« On approche lentement, puis déploiement en tenaille, histoire de pouvoir porter un coup s'il fait mine de s'en prendre à nous. Parlons d'abord, ne frappons que si le besoin s'en fait sentir. »

Joignant le geste à la parole, le sabreur leva l'une de ses mains armées en un salut qui se voulait apaisant à destination de la silhouette encapuchonnée.

Lorsqu'il aperçut l'ombre trapue du Bolet s'approcher, les yeux du spectre se mirent à briller d'une fureur démente. Il dégaina son épée et, sans un bruit, fendit l'air à toute allure, forme indéfinie plongeant droit vers le mercenaire, l'épée pointée vers lui.

Un fouet embrasé fend l'air dans un claquement sec et frappe l'assaillant, ou du moins le repousse. Adellan saute en une cabriole aux côtés du bolet, masque du Psychopathe sur la tête et cornes-fouets dans chaque main. Un second coup est porté de la gauche, plus précis, à l'emplacement du spectre.

Ne s'attendant pas à cette attaque, surtout avec une telle arme, le spectre est contraint de s'arrêter dans son élan et, maladroitement, parvient à parer le fouet. Déstabilisé, il reste sur la défensive. Entendant bien profiter de cet avantage, le Bolet fondit sur cette ouverture, sabrant d'un côté puis de l'autre. Et Adellan réplique en même temps que son acolyte. Le spectre est désormais cerné entre deux fronts, les lames du champote et les fouets ardents du masqué qui tentent de lui briser les tibias. Tant bien que mal, le spectre parvient à se ressaisir et à repousser les assauts du Bolet. Dans une ruade, il parvient à le bousculer et, espérant l'avoir immobilisé un instant, se tourne face au Zobal qui le menaçait à nouveau, tâchant de répliquer à ses attaques.

Tombant à la renverse, Basilio se secoue les pupuces et, plutôt que de se relever, il entreprend de s'attaquer aux jambes de l'inconscient venant de lui tourner le dos. Quant à Adellan, il fouette sans répit le spectre tout en cabriolant autour de lui pour esquiver ses coups. Ses fouets s'enflamment par magie et il s'affaire à occuper l'assaillant le plus possible pour qu'il ne remarque pas Basilio. Et vas-y que je te fouette la gueule et que je t'insulte en Nimbos ! Le Zobal se laisse entraîner par la fureur de son masque, c'est flagrant. Le fantôme, ne se souvenant pas qu'on se battait avec une arme aussi peu chevaleresque à son époque, peine à répliquer. Ayant momentanément oublié Basilio, il ne prend pas garde à ses arrières et c'est à sa surprise qu'il sent le froid de la lame le transpercer derrière lui.

Un rayon lumineux jaillit de l'endroit où l'épée a transpercé le spectre, poussant Adellan et Basilio à s'écarter. Le fantôme, lui, se fige. Ses traits, brièvement, apparaissent plus nettement sur son visage, affichant un vieil homme fatigué.




La même voix, sans que le chevalier eut l'air de parler, entonnait la suite du poème.




Et, jetant un dernier regard aux bretteurs :




Avant de se dissoudre et de disparaître tout à fait, forme, lumière et voix. La tension qui saturait l'air s'effaça dans le même temps. La forêt avait retrouvé son calme.

 
 

Le boiteux n'avait évidemment pas pris part au combat et s'était contenté d'en capter de loin les retournements. Il arriva au niveau de Thomas alors que celui-ci pressait Courbépine quant à la suite de leur trajet.

Il espérait qu'avec le retard qu'ils avaient pris sur leur rendez-vous, le vieil homme les aiderait d'une façon ou d'une autre par reconnaissance, aussi il se tint attentif à sa réponse.