Sa tarte est une tuerie, ses farcis une dinguerie

Akwadala, 9 jours après son mariage.

Tous les matins, tôt, la proposition de l'éniripsa aveugle lui repassait en mémoire et tous les matins, alors qu'elle s'étire, elle se demande si Instylena aujourd'hui frappera à sa porte. Mais, sa belle archère s'en va et, Alecto se retrouve seule.

Elle finit par se l'avouer, personne ne viendra toquer ou, éventuellement, la milice locale. Il paraît qu'on recherche toujours le gamin du voisin.

Ce gosse empaffé, avec son pyjama si laid.


Coup de serpillière, méditation, baignade dans le ruisseau, vocalises en plein air, on retire les mauvaises herbes du potager, brin de toilette, allez on bouquine et oh, et si je maniais le pinceau ?

Et Alecto manie le pinceau. On s'applique, on grossit le trait, mouvements graciles du poignet eeeet NAN ! NAN !

Un coup de griffes est donné, déchirant la malheureuse toile qui n'avait rien demandé, si ce n'est un peu d'amour et de couleurs.

Le buffet n'avait-il pas été à la hauteur ?!

Elle savait qu'elle aurait dû y aller plus doucement sur la coriandre pour les cwoquettes de bouftou.
C'était foutu, foutu, sa femme est enceinte et elle, encore et toujours sans emploi.

Allait-elle se laisser entretenir par sa bien-aimée, même lorsque celle-ci serait à transporter dans une brouette, pour ne pas accidentellement se mettre à rouler sur le chemin jusqu'au port ?!




Le 15/12/650, Alecto, passe à l'action.
... Après s'être assurée que le déjeuner était prêt pour ce midi.


- Les petits cœurs dans les coins c'est... c'est franchement tarte. Entre nous, pas question de passer pour une quiche à cet entretien. Et ça, c'est trop... avant-gardiste ? Je crois qu'il faudrait tendre vers plus simple, plus franc, plus efficace. J'ai l'impression que l'ambiance se veut authentique. Vous comprenez ? Qu'est-ce que c'est, ça, ce zigouigoui en bas de page ? Quand j'incline la tête du côté droit j'ai l'impression d'apercevoir un phal-... Ah non hein, pas de farandoles de casseroles.

La féline plisse son nez dans une mimique très peu convaincue (les héritages physiques offerts par sa Divinité sont de plus en plus rares et en dehors de sa queue, ses oreilles et quelques touffes de poils dans des endroits qui ne vous regardent pas, il ne reste plus grand-chose) . Elle n'a de cesse d'avancer et de reculer son minois, quitte à pratiquement s'étaler sur le bureau du gros pandawa. C'est que, un angle de vue peut tout changer !

L'éditeur soupire continue de tourner les pages pour lui proposer un énième modèle. Pourtant, lorsque cette femme était entrée avec son grand sourire, ses petites moustaches et ses beaux yeux en amande, il était loin de se douter qu'il s'apprêtait à dire au revoir à son déjeuner. Cette mousse qui l'attendait, là, au coin de la table... Et bien elle n'avait quasiment plus de mousse, justement.

Plus de mousse.

Son rythme cardiaque s'accélère, il sent qu'il commence à transpirer et ... est-ce que c'est une veine qui vient d'apparaître sur sa tempe ?!

- AAAAAAAAAAH !

Alecto rabat ses oreilles en arrière et écarquille les yeux, le disciple de la Grande Assoiffée s'étais soudainement mis à feuilleter son manuel à la vitesse d'une dragodinde de compétition jusqu'à ce que TCHAK ! Son index grassouillet se pose en plein milieu d'une mise en pages de menu. LA mise en pages de menu qu'il lui fallait.

- Oh oui, c'est si simple !

- ET SI AUTHENTIQUE !

Il hurle avec la fierté du guerrier, gonfle son torse et s'essuie le front avant de s'esclaffer :

- REPASSEZ DANS DEUX HEURES, CE SERA PRÊT !

Sa cliente n'a pas le temps de refermer la porte derrière elle que le brave s'est déjà rué sur sa pinte, tout tremblotant.


Drôle de scène, mais la féline s'habituait peu à peu aux mœurs des habitants de cette île et il n'y avait pas de temps à perdre. Détour par la place du marché, elle dégaine son panier de bambou tressé et se dirige vers les étales.

Tous connaissent Alecto et à l'approche de ses longs cheveux bruns au vent et de sa jolie robe légère couleur salace, ils savent qu'ils peuvent sortir la balance. C'est que, l'écaflip n'avait pas pour habitude d'acheter pour deux ou trois, quand elle se mettait à cuisiner.

- Bonjour ma belle ! Alors, tu prépares quoi de bon à ta femme pour ce soir ?

Mais Alecto ne répond rien. Fiou ! Fiiiu ! Un bouquet de persil, un tofu dodu, bond du félin vers le commerçant sur sa gauche et fiiou, filet de poisson ajouté.

La tornade du fourneau, maîtresse des couteaux et gardienne des dates de péremption, mieux encore ! La justicière de l'agriculture biologique, pourfendeuse du sucré-salé mal équilibré, terreur de la calo-...

- 57 kamas, madame, madame ?!

Elle paye et s'en va avec ses provisions sous le bras.






... Plus tard, en fin de journée, au Lépreux Chauve.

- Bonsoir Camille, non pas de lailait aujourd'hui, j'ai quelque chose pour Instylena. C'est important, je sais que je peux compter sur vous. Merci, Camille, une excellente soirée à vous aussi.

Et elle dépose un panier couvert d'un torchon propre, un menu simple et authentique et une courte missive sur papier cartonné.




Dans le panier, une petite portion de chaque plat avait été déposée. Oh comme ça sent bon les épices, et ces couleurs eh, de quoi vous faire baver sur le menton. Le premier, parsemé de gruyère doré au four. Le poisson et ses petits légumes sont tendres et moelleux. Un plat qui saura vous raviver des souvenirs d'enfance, mais si, rappelez-vous... La mer, les mouettes, tata Paulette...

Le Poolay Balèze, si sudiste, si rouge, légèrement relevé, la tomate et le poivron se livrent une danse enshushutée qui vous fera rougir de plaisir. Olé, ne dit-on pas que plus ça pique, plus on commandera à boire par la suite ?

Onctueuse et enchanteresse, la soupe à la citwouille est si mignonne dans son petit bol en terre cuite. Oh, une caresse sur votre joue, on en oublierait presque que quelques heures avant de se retrouver sous votre nez, ce sont elles qui auraient bien tenté de vous bouffer.

Les farcis d'Alecto sont une légende. Enfin pas encore, mais ça viendra, grâce à vous qui sait ? Est-ce qu'elle vous a précisé qu'elle aimait cultiver ses tomates presque autant qu'elle n'aimait brouter sa ... Hein ? Ohla eh, ce plat fait perdre la tête.

Cette tarte. On dit que Kaleilah troquerait son bonnet pour en reprendre une part. Allez savoir si c'est vrai mais en tout cas, vous, vous, vous êtes à deux doigts de le lui arracher pour tenter votre chance. Cette glace si rafraîchissante accompagne à merveille le sucre à peine caramélisé de ces pommes ... ces pommes issues de l'agriculture biologique, s'il vous plaît.

La bijoutière sort un petit miroir de poche et s'assure qu'après ses péripéties de la matinée, son mascara n'avait pas bronché. Fort heureusement, jamais elle ne s'était laissée aller à acheter du maquillage bon marché et le noir de ses cils était resté immaculé. Si elle franchit les portes du Lépreux Chauve plutôt que de repasser par chez elle, c'est dans l'espoir d'y trouver Kaleilah. Cette affaire d'enquête confiée par Kioshu au sujet de la fameuse Mumei était plus ardue que prévue et, qui de mieux qu'un agent du Coeur, qui plus est s'avère aussi être sa meilleure amie, pour se pencher sur le sujet à ses côtés ?

Une fois à l'intérieur, pas même elle ne commande un café.

Pas de rouquine en vue, mais un beau panier.

- Qu'est-ce, Camille ?

- De Dame Alecto, c'est pour madame Instylena...

Là, forcément, Yenepha part soulever le linge pour y jeter un œil. Non pas qu'elle soit du genre fouineuse, mais elle connaissait assez l'expéditrice pour préférer jeter vérifier le contenu du panier avant que sa collègue aveugle n'y plonge la main.

Est-ce qu'elle s'attendait à tomber sur un si appétissant assortiment de petits plats concoctés avec amour ?! Certainement pas. Elle ne regarde ni la lettre ni le menu, elle ne voit plus que ce poolay rougeoyant et ses légumes, cela semble si SAIN et si GOUTEUX ! Sans parler d'une faible teneur en calories évidente !



- Tout ça pour Insty... ?

- C'est une candidature pour un poste de cuisinière, si j'ai bien tout compris...

- Elle ne pourra pas tout goûter, ce ramequin de poolay est en trop. Bien que la part de tarte ne soit pas très généreuse maintenant que je la regarde de plus près, vous avez tapé dedans ou quoi Camille ?

- Madame, non, je ne me permettrais pas...

- Moi non plus, moi non plus...


Lorsque Instylena passera au Lépreux Chauve pour découvrir sa candidature, il manquera deux bouts de poolay dans le petit ramequin épicé. Est-ce que la bijoutière approuvait l'idée que la femme de Simettra vienne travailler ici ? Pas vraiment. Quoique, puisqu'il n'y avait pas de fourneaux ici, elle imaginait aisément que son travail ne consisterait qu'à apporter au matin quelques stocks avant de repartir sur son île... Mais tout de même, ça ne la rassurait pas.

Est-ce que la bijoutière approuvait le Poolay Balèze ? Carrément.